Fantôme

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            Il y a quelque chose d'étrange avec cette forêt. Sébastien se l'est toujours dit. Elle a comme une aura mystique autour d'elle. Une aura qui le terrifie, et ce, depuis son plus jeune âge.

            En effet, chaque année depuis qu'il sait marcher, il avait l'habitude de partir deux mois chez ses grands-parents qui possédaient une grande maison perdue au milieu de la forêt. Et chaque année, cette dernière le terrorisait un peu plus.

            Cela fait pourtant presque cinq ans que Sébastien ne s'y est pas rendu. Depuis ses dix-huit à vrai dire. A partir du moment où il a quitté le cocon familial pour ses études.

            Alors, à ses yeux, tandis qu'il observe les ravages que le temps a fait sur cette maison de son enfance, une éternité semble s'être écoulée. Il a soudain l'impression d'avoir de nouveau sept ans. Et le petit garçon de sept ans au fond de lui, n'a qu'une envie c'est de courir dans les bras de sa grand-mère qui sent fort la cannelle. Puis, une fois l'étape des gros bisous baveux qu'on finit par apprécier, passée, de foncer dans l'étreinte toute aussi aimante de son grand-père qui lui, sent le bois.

            Sauf que le jeune homme de vingt-trois ans qu'il est maintenant, ne peut pas le faire. Pas qu'il ne le veuille pas, loin de là. Simplement, il est bien impossible d'embrasser des fantômes. Alors, il s'en veut. Oui, Sébastien s'en veut terriblement de s'être éloigné des gens qu'il aime, des gens importants pour lui. Il s'en veut terriblement, et il a peur. Non, il est terrifié, terrifié à l'idée que ses si chers grand-parents aient pu se dire qu'il ne les aimait plus, ou moins, avant de mourir.

            Et c'est cette culpabilité, ces remords qui lui enserrent chaque jour un peu plus les poumons et lui broient le cœur, qui l'ont poussé à revenir ici. Retourner en arrière, se replonger dans le passé en espérant ne pas s'y noyer. Et nager, nager, toujours plus loin, toujours plus profondément, dans l'espoir de ne serait ce qu'apercevoir une lumière, ou même une simple lueur, d'espoir. Un éclat lumineux pour éclairer la noirceur de son manque.

            Sauf que maintenant, debout seul, une malle à la main, devant cette immense bâtisse dont le seuil semble désormais infranchissable, il doute. Il ne sait pas s'il a fait le bon choix, s'il n'a pas fait une erreur en revenant. Si, au final, il n'était peut-être pas encore prêt pour ça. Peut-être aurait-il dû attendre encore un peu ? Peut-être aura-t-il dû trouver une autre solution ? Se contenter d'après-midi solitaire à regarder encore et encore de vieilles photos ?

            Sébastien n'est pas courageux. Il ne l'a jamais été. Il n'a jamais eu envie de l'être. Alors, oui, l'idée d'envoyer un message au conducteur d son taxi pour rentrer, lui est venue. Il en a même sorti son téléphone. Oui, l'idée de s'effondrer sur le sol caillouteux pour fondre en larme et hurler, dans un cri silencieux, sa douleur et sa peine, lui est aussi venu. Ses jambes en tremblent même. Mais, aujourd'hui, rien qu'une fois dans sa vie, au moins cette fois-ci, il veut essayer, même s'il a peur d'échouer. Il veut tenter d'être courageux. Être ce qu'il n'est pas, rien qu'une et unique fois, pour voir ce que ça fait, voir s'il en est capable.

            Alors, Sébastien range son téléphone dans sa poche, se redresse et avance. La tête bien trop haute pour que cela semble naturel, mais cela ne l'est pas. Il joue, Sébastien joue un rôle, il se donne un genre qui n'est pas le sien. Peut-être parce que son genre ne lui va plus, ou parce que ce dernier ne lui permet plus d'avancer. Qu'importe, il joue et si cela peut l'aider, personne ne peut le juger.

            Ce que Sébastien aurait dû ne pas oublier en revanche c'est que tout le monde ne peut pas se dire acteur. Et cela, il le comprend devant la porte, alors que ses yeux tombent sur le paillasson, et que la mélancolie, ou bien la nostalgie, lui fait monter les larmes aux yeux.

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