Chapitre 29

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« Le silence est plus lourd à porter que la révélation »

- Fabrice HUMBERT

Deux heures que nous répétions sous la supervision d'Ivanovich et deux heures que je voulais étriper Adam. Notre duo allait faire rire l'assemblée de spectateurs le jour de la représentation, aucun doute à ce sujet. Pas qu'il soit mauvais danseur, au contraire. Simplement, il n'y avait pas une once d'alchimie entre nous et sa façon d'interpréter le prince Siegfried ne collait pas à la profondeur des émotions en jeu. Sans compter l'absence complète de confiance et de coordination entre nous.

J'en avais des sueurs froides, et les yeux d'Ivanovich ne faisaient que rouler dans leurs orbites depuis que nous avions commencé. Clairement, nous étions pour une fois sur la même longueur d'onde.

- Ce sera tout pour aujourd'hui, décida Ivanovich après que nous ayons terminé l'une des scènes de l'acte II. On reprendra demain.

Sans un mot de plus, elle prit ses affaires et quitta le studio avec notre pianiste, Françoise, nous laissant haletant de fatigue. Mon téléphone vibra dans mon sac, quand je vis le numéro d'Arsène s'affichait à l'écran, mon coeur paniqua. Je décrochais sans même accorder un regard à Adam.

- Oui ?

- Rubis, tu peux passer chez moi avant de rentrer ?

Il y avait une faiblesse dans sa voix qui m'inquiéta immédiatement.

- Je...

- S'il te plait, j'ai besoin de toi.

- J'arrive, soufflai-je dans le combiné. Je fais au plus vite.

Arsène ne demandait jamais d'aide, et qu'il le fasse déclenchait toutes les alarmes dans mon crâne.

- Je dois y aller, Adam, mais on se voit demain pour les répétitions ?

- Oui, bien sûr. Sois prudente en rentrant.

- Toi aussi, répliquai-je en forçant un sourire avant de m'éclipser comme une tornade.

J'avais la clé de l'appartement d'Arsène depuis près d'un mois, mais je ne l'avais jamais utilisé jusqu'ici. Dès que j'ouvris la porte de l'appartement, je sus qu'il était soûl. L'odeur d'alcool fort me prit à la gorge avant que mes yeux ne tombent sur son visage, si relâché et détendu.

- Arsène, sifflai-je, les yeux plissés de colère, c'est tout ce que tu as trouvé à faire ?

Il tomba sur moi avec une telle force que j'eus du mal à ne pas tomber en arrière. Cet imbécile, pensai-je. M'avait-il vraiment appelé pour ça ?

- Rubis, marmonna-t-il en insistant ridiculement sur la deuxième syllabe. Mi sei mancata, la mia stella.

Cette voix rauque, musicale, alors même qu'il avait la langue pâteuse et l'esprit en vrac... J'avais envie de le tuer pour s'être mis une cuite et de savourer son accent italien qui coulait si délicieusement dans mes oreilles.

- Tu sais bien que je ne comprends pas un traitre mot d'italien, Arsène.

Le front contre mon épaule, les bras déjà entremêlés derrière mes reins, je le sentis rire contre ma peau.

Justement, tu m'étranglerais si je le disais en français.

Toujours de l'italien...

- Arsène, m'agaçai-je.

Je supportais son poids depuis deux bonnes minutes, et autant dire qu'il n'était pas léger, pour l'entendre grommeler en italien un charabia sans queue ni tête. Il pouvait vomir sur mon épaule à tout moment.

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant