Apparition

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Écrit pour le concours de Lune_de_chene, décembre 2023.

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Une silhouette sombre montée sur un cheval tout aussi sombre avançait entre les arbres d'une forêt aussi ancienne que la Terre elle-même. Entre les branches des feuillus, les points lumineux des étoiles perçaient le ciel nocturne. La silhouette était vêtue d'une cape noire munie d'un capuchon qui enveloppait son corps frêle et dont les pans battaient les flancs de son cheval. Elle semblait mal en point, son dos voûté et ses mains tremblantes en témoignaient.

Soudain, sa monture se cabra. Les pattes fines de l'étalon s'envolèrent puis ses sabots revinrent frapper le sol. La silhouette fut projetée dans les airs, son corps s'arqua comme si elle voulait s'envoler et le temps sembla se suspendre. Une lumière dorée s'échappa de son torse et rejoignit les étoiles dans une traînée lumineuse. Puis, lentement, la silhouette descendit vers le sol. Doucement, elle s'y posa, son capuchon rabattu libérant ses cheveux noirs. Son visage pâle était celui d'une jeune femme. Ses yeux clos lui donnaient l'aspect d'une morte. Mais elle était bien vivante car son souffle formait de petits nuages dans l'air glacé.

L'étalon, sentant la menace passée, se rapprocha de son amie et enfouit son museau humide dans le cou de la jeune fille. Voyant qu'elle ne se relevait pas, il se coucha contre elle, son corps faisant barrage aux menaces de la nuit.

Après un temps indéfini, la forme sombre de la jeune fille se releva. Elle flatta son cheval et l'enfourcha. Apercevant les rayons écarlates du soleil couchant, elle réalisa qu'elle avait dormi toute la journée. Elle frissonna, ses mains se resserrèrent sur les rênes et le cheval fit un écart en sentant la peur de sa cavalière. Enfin, les arbres se firent plus rares : ils approchaient de la sortie. La jeune fille, qui avait remis son capuchon, claqua de la langue et l'étalon bondit. Le vent lui piquait les yeux mais il ne ralentit pas.

La forêt s'arrêtait net. Un instant, il y avait des arbres, celui d'après, il n'y en avait plus. Le paysage qui s'offrait à eux les laissa stupéfaits. Une plaine immense s'étendait à perte de vue, l'herbe verte et tendre qui la recouvrait ondulait doucement sous la brise, semblable à un océan de verdure.

Sans prévenir, le cheval s'élança vers le disque rouge du soleil. La jeune fille, déséquilibrée, manqua de tomber mais se rattrapa au dernier moment. Les rayons de l'astre enflammaient le ciel où des nuages paresseux s'attardaient encore. Silhouettes minuscules et solitaires, le cheval et sa cavalière fendaient les flots de l'océan d'émeraude qu'était cette prairie. La cape sombre de la jeune fille se détacha et s'envola, happée par une main gigantesque, tourbillonnant dans le vent. Les sabots de l'étalon martelaient le sol dans une cadence d'enfer, la brise, devenue tempête, faisait voler sa crinière et les cheveux de jais de la jeune fille, le soleil lança un dernier cri avant de sombrer dans les abysses de noirceur dont il était issu.

Dès cet instant, le monde ne se résuma plus qu'à l'encre de la nuit, vicieuse et perfide, qui engloutit la campagne. Obscurité parfaite de cruauté, d'extase et de mort, elle établit son règne sanglant sur le paysage, poursuivant les deux compagnons tel une vague meurtrière. Courant toujours, l'étalon tentait d'échapper à son sort mais ses muscles fatigués ne purent le porter loin. Il s'effondra dans l'herbe, les naseaux frémissants et les yeux révulsés.

Alors que tout semblait perdu, la Lune surgit de l'horizon, sa lumineuse blancheur chassant l'obscurité. Le paysage se couvrit d'un manteau d'argent, chaque brin d'herbe semblant doué de sa propre vie. La cavalière, accroupie auprès de son cheval, se releva et leva les yeux vers l'astre éblouissant. Son visage, éclairé par cette source de puissance, prit un aspect magique. Ses iris noirs devinrent argentés, ses cils se parèrent de lumière, ses lèvres prirent un aspect brillant et sa peau elle-même sembla animée par un courant de vie.

Le disque énorme de la Lune s'éleva lentement vers les étoiles. La jeune fille n'en avait toujours pas détaché les yeux. Elle cligna des paupières et caressa le front de son animal. Elle l'aida à se relever et, côte à côte, sous la lumière sombre et rassurante, ils avancèrent.

Tel frappée un coup de hache gigantesque, la plaine s'arrêtait brusquement. Le cheval et sa cavalière s'arrêtèrent au bord du gouffre. Devant eux, des dizaines de mètres plus bas, la plaine continuait, impassible. Mais un élément différait tout de même.

Sous une lune crépusculaire, un lac bleu miroitait et pétillait. Sa surface lisse semblait frémir face au vent implacable. Tandis que le temps filait, l'eau calme se couvrit d'ébène. Et brusquement, la surface du lac se brisa en un millier de gouttelettes de diamant. Une forme dorée en jaillit, éblouissante de puissance et de sagesse. Son corps fuselé à la perfection, souple et étincelant, traça une parabole parfaite et scintillante devant les deux amis avant de retomber dans le lac. Un nuage de poussière dorée flotta quelques instants dans l'air avant d'être désagrégé par le vent.

La jeune femme et son cheval n'avaient pas bougé. Mais là-haut, dans les étoiles, au fin-fond de l'Univers, un écho frémit.

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