Quelqu'un de bien

I - Leah

Trois mois plus tôt

- Non.

- Non.

Les minutes passent et leurs doigts ne cessent de glisser sur l'écran de mon portable. Un coup à gauche, un coup à droite.

- Ah ! Celui-là, pourquoi pas.

- T'en penses quoi Leah ?

Sans porter la moindre attention à mes soi-disant amies, je leur réponds :

- C'est une très mauvaise idée.

Je préfère me concentrer sur le ticket de l'addition que je griffonne depuis tout à l'heure. J'ai toujours un crayon avec moi pour pouvoir m'occuper dans des moments comme celui-ci.

Alors que nous étions venus dans ce bar pour boire à l'obtention de nos diplômes, les filles ont pris d'assaut mon téléphone avec l'idée « miraculeuse » de m'inscrire sur une application de rencontre. Comme je suis tout à fait contre, j'ai sorti ma meilleure arme, mon stylo, et me suis mise à dessiner nos cocktails lorsqu'on a trinqué à notre réussite et à nos vies futures. On devait mettre l'angoisse de cet avenir qui commence demain de côté et profiter d'une dernière soirée ensemble, guidée par l'innocence.

Chacun des verres qui s'entrechoquent est tenu par la main caractéristique de sa propriétaire. Un léger surpicage pour reconnaître la peau mâte de Paloma et son verre de Sangria. Notre tête brune, au charisme et à l'accent chantant d'Espagne. Les traits les plus fins possibles pour représenter au mieux la douceur de Rosalie et son Sex on the Beach. Notre blondinette à la beauté naturelle et à la sagesse à toute épreuve. Et les coups avec la pointe de la mine pour les taches de rousseur de la main de l'artiste et son Spritz. La tête rousse, qui malgré des traits plus que visibles passe la plus inaperçue si l'on suit les regards des garçons présents ce soir dans ce bar.

La probabilité pour que l'on devienne amie, toutes les trois, était assez faible. Sûrement très proche de zéro, pour être complètement honnête. Des physiques et des personnalités aux opposés, qui ont pourtant fait de nous un trio inséparable pendant ces trois années d'étude.

- Allez, c'est pour cet été, répète Paloma. Il faut que tu essayes.

À côté d'elle, Rosalie, en qui je pensais trouver du soutien renchérit :

- Après tu pourras dire que ça ne marche pas.

- Pour tout le monde.

Évidemment. Depuis que Paloma a rencontré Dimitri, son petit ami, sur LOVE U, elle est convaincue que l'application de rencontre est la solution pour toute personne qui cherche l'amour.

Quant à Rosalie, elle a rencontré Antoine il y a trois ans au camp de vacances qu'ils animaient. Très vite ils sont devenus inséparables et dès la rentrée de septembre, ils emménageaient ensemble. On a donc toujours connu Rosalie avec Antoine. Le couple fusionnel. Jamais loin l'un de l'autre.

Pendant que moi, à vingt-deux ans, j'ignore tout de ce qu'elles vivent. Je n'ai rien contre les hommes ou contre l'amour. Je serais même la première ravie d'avoir quelqu'un dans ma vie. Mais voilà, personne n'a encore voulu de moi. Depuis les premiers flirts au collège, personne dans la gente masculine n'a souhaité tenter l'aventure à mes côtés. Certes, je ne leur ai pas facilité la tâche ou tendu la perche.

Mes années d'école ont été assez dures à vivre. J'ai dû essuyer les moqueries à répétition sur ma dyslexie et la couleur de mes cheveux. Plus tard au lycée, je ne faisais clairement pas partie de cette bande de gens populaires. J'étais devenue solitaire. J'avais appris à me contenter de ma seule présence. Alors quand l'université et ses grands amphithéâtres bondés m'ont ouvert les bras, j'ai tourné le dos et suis entrée dans une école de graphisme avec un nombre total d'étudiants ne dépassant pas les trente par promo. Seul bémol, les garçons y sont en sous-effectifs, déjà en couple ou préfèrent la case « sexfriends ». Autant dire que je n'ai pas tiré le bon ticket à la loterie de la vie sentimentale.