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          La discussion tournait en rond depuis des heures au milieu des étudiants dans la petite chambre de bonne, qui peinait à accueillir les vingt-six jeunes qui débattaient passionnément.

          Quand à moi, un peu en retrait, j'observais sans dire mot. J'avais l'impression que je n'avais pas le droit à la parole, que personne ne m'écouterai ; de toute façon, je n'avais jamais rien d'intéressant à dire.

          Peut-être était-ce les séquelles d'une vie avec mes parents, peut-être que j'avais juste toujours manqué de confiance en moi. Pourtant, j'avais osé porter des jupes contre l'avis de tous...

          À cette pensée, je souris. Le souvenir du doux tissus qui m'enserrai la taille émergea doucement dans mon esprit. Pensivement, je me frottai la cuisse, comme si j'essayais de sentir le cuir de la jupe sous mes doigts...

          Jamais je n'en avait reporté.
          Terrifié par les attaques de mes parents, même en dehors de leur champ de vision, même sans leur regard accusateur par dessus son épaule, je ne pouvais en porter.

          Oui, j'en avais envie.

          << Et toi, Perceval, t'en penses quoi ? >>

          Surpris qu'on prenne la peine de me demander mon avis, je ne répondis pas immédiatement, me passai la main dans la nuque puis demanda finalement :

          << C'est quoi la question ? >>

          << Les jupes. >>

          Je manquais de m'étouffer. Ils l'avaient fait exprès ?

          << Et plus précisément ? >>

          On me demanda ce que j'en pensait en général. J'avais envie de dire que je m'en foutait, que je ne savait pas, que...

          Les mots sortirent tout seuls de ma bouche.

          << J'aime bien. >>

Un garçon à l'air hautain soupira dans l'assemblée.

          << On te demande pas si tu aimes mater les jambes des meufs lorsqu'elles portent des jupes, on te demande si tu trouves que c'est acceptable en public. Il faut convaincre cette minorité là — il désigna du menton un groupe de deux personnes qui croisaient les bras, le regard noir — que c'est normal de porter un jupe quand t'es une fille et que t'a chaud, et que c'est pas une atteinte à la pudeur. >>

          << Non mais... j... je... je voulais dire... non, moi... porter des jupes, j'aime bien. >>

          Je levai timidement la tête, me préparant à l'assaut de questions furieuses sur ma sexualité, sur mon genre et autres stupidités.

          Une jeune femme, noire, mais d'un noir si lumineux qu'il paraissait briller, se leva, vint à ma rencontre et me prit dans ses bras.

          << Ça a du être dur d'en parler, tu as eu des difficultés avec tes goûts non ? Viens on va dehors le temps que les autres se calment. >>

          J'étais toujours sous le choc. Pas de colère, pas de cris, pas d'insultes, juste une personne qui connaissait la dureté des mentalités et qui se souciait de ma personne.

          << Je suis Ines, et toi tu es Perceval.  Tu as envie de parler ou pas ? >>

           Et là, devant cette personne si douce, si gentille, si sincère, je me mis à pleurer. D'abord doucement, la petite bruine se transforma en une gigantesque cascade.
          Je sanglotais à n'en plus pouvoir, déversant toutes mes peines, tout mon mal-être, toutes les larmes que je n'avais pas ou verser quand je vivais encore en famille.

          Elle attendit que je me calme  me frottant doucement le dos.

          Puis je me raclais la gorge, un peu gêné, pas tout à fait débarrassé de ce qu'on m'avait martelé toute ma vie : un garçon, ça pleure pas en public.

          << En fait, porter des jupes, ça... ça me fait me sentir libre, c'est agréable de sentir ses jambes réellement à l'air libre, sans entraves... et puis c'est pas juste, je comprends pas pourquoi les garçons auraient pas le devoir de porter des jupes, les filles portent bien des pantalons... j'en ai assez qu'on me demande si je suis homo parce sue je porte des jupes, si je porte des jupes je ne suis pas une fille, les filles n'aiment pas forcément les garçons et puis peut-être même que je suis aro je suis pas encore sur, mais en tout les jupes ne te rendent pas fille ni homo, moi j'aime juste la sensation que moi et puis c'est tout... >>
 
          Un fouillis de mots sortait de ma bouche, accumulation de mes pensées depuis que j'avais commencé à porter des jupes.

          Ines me regardait, compréhensive, elle elle acquiescait au fur et a mesure de mon discours.

          Elle allait dire quelque chose quand la porte s'ouvrit en grand. On s'écarta pour laisser passer les deux personnes qui avaient un avis pas très tolérant sur la question, et elles me firent des doigts.

          Cette violence gratuite fit bondir Ines. En deux pas, elle fût sur eux, les attrapa par le col et les vira dans la rue, puis claqua la porte. En remontant l'escalier, elle me fit un sourire.

          Que le palier attendaient la quinzaine d'étudiants encore là, me souriant timidement.

          << Viens, Perceval, m'enjognit Ines. Il faut que tu leur raconte ton histoire, pour que les générations à venir soient plus ouvertes d'esprit que la nôtre, et que nous éduquons ceux qui le peuvent. >>

          Je lui souris, pris la main qu'elle me tendait et entrais à nouveau dans l'appartement, mais cette fois la tête haute.

         

La Jupe [ Nouvelle // TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant