Chapitre 11 - Dagnir

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La colère était un sentiment dévastateur. Elle pouvait rompre toute promesse. Sournoise, elle s'infiltrait dans chaque partie du corps. Cruelle, elle dévorait l'âme pour la faire céder. Debout, face à la prêtresse, Dagnir sentait cette colère l'emprisonner, l'empoisonner de part et d'autre comme une lame acérée. Sa main tenait fermement la manche nacrée de son épée, si bien que ses phalanges étaient blanches, presque insensibles au froid qui les transperçaient. Son cœur - pourtant dénué de tout sentiment - battait à un rythme beaucoup plus effréné. Son regard - bleuté - était teinté d'une étrange lueur. Une lueur froide, intransigeante, sous des sourcils arqués et une mâchoire serrée alors qu'il ancrait toujours plus ses yeux sur la silhouette devenue morne de sa victime ainsi achevée.

Oui. L'Exécuteur ressentait cette colère. Il en était animé. Etait-ce à cause des paroles de la prêtresse? Cette présence qu'il avait bien du mal encore à expliquer? Était-ce ses mots, ses mises en garde? Ce sentiment profond de trahison et d'être amèrement utilisé par cet homme, ce mentor qui semblait - au fur et à mesure - l'utiliser? Ou bien... était-ce cette voix? Voix qu'il avait reconnu entre mille. Voix qui s'était insinuée à ses oreilles comme un souvenir pesant. Un souvenir qu'il avait toujours cherché à oublier.

Dagnir...

Il entendait encore cette voix, ce souffle léger, tourmenté résonné à ses oreilles. Il serra toujours plus la manche nacrée de son épée, insensible au sang carmin qui poissait sa lame après l'avoir profondément enfoncé dans la chair de la prêtresse. Il n'entendait que cette voix. Il cherchait - pourtant - à la faire partir. Il ferma les paupières, craqua sa nuque comme pour défaire les tensions qui s'étaient accumulées dans ses épaules mais rien n'y faisait. Dagnir était de nouveau confronté à ce visage, cette voix, ce souvenir pesant qui - de loin - l'avait changé à jamais. Peut-être parce qu'il ressentait encore de la culpabilité. Quelque part, caché derrière ce visage emmuré et insensible à tout ce qu'il regardait. Peut-être parce que cette voix, ce ton imploré, était le seul finalement qui arrivait à refaire battre son cœur fermé, d'une manière incontrôlée. Non pas par amour et dévotion mais oui, par culpabilité. Il serra la mâchoire comme pour ne pas crier, hurler sa colère au monde entier. A la place, il resta immobile, les sourcils froncés, le regard ancré sur le corps encore chaud de la prêtresse qui avait la tête désormais rabaissée, tombée sur son thorax où coulait – encore et encore – ce liquide chaud qu'il ne tenta à aucun moment de soigner ni même d'apaiser. Il serra toujours plus la mâchoire à cette pensée, à ce souvenir qui arrivait par vague alors qu'il s'entremêlait aux nouvelles questions qui s'inflitraient peu à peu dans son esprit. Parce que oui, plus il restait là, immobile, plus il comprenait aussi qu'il avait été manipulé par Seryfon. Qu'il le manipulait encore à sa façon. Finalement, ce soit disant Oracle ne lui avait apporté que peu de réponse, voire aucune en réalité qui éclairait un tant soit peu ses intentions mais ses mots claquaient malgré tout dans sa tête. Ta place n'a jamais été ici. Toi-même, tu t'en rends compte. Ouvre les yeux, Dagnir Loreileï. Ouvre ton cœur et la vérité s'y insèra d'elle-même. Nous nous répétons. C'est à toi de trouver les réponses. Ils ne faisaient que confirmer et renforcer ce sentiment amer d'avoir été dupé. Pire encore, d'avoir été utilisé. Son regard – alors – s'ancra au loin et un grognement rauque traversa la barrière de ses chairs tandis qu'il se détournait enfin du corps sanglant de Jade, l'abandonnant à son sort sans même s'en soucier.

****

– Dagnir?

Les cheveux moites, le visage en sueur, le jeune homme se retourna vivement vers cette voix qui l'avait interpellé. Les arbres, denses, cachaient une bonne partie de la lumière mais même dans l'obscurité, il l'aurait reconnu entre milles. Pour toute les fois où ils s'étaient cotoyé, ensemble, du matin jusqu'au soir alors qu'ils arpentaient le village en quête d'apprendre pour l'un, en quête d'aider pour l'autre. Ils s'étaient toujours cotoyé, aidé, même quand Dagnir soupirait souvent quand son acolyte – soit tombait par maladresse sur le sol, soit se laissait insulter par les autres enfants du village sans même sourciller. Ils se connaissaient depuis combien de temps maintenant? Dix ans? Peut-être plus, peut-être moins. Le jeune homme lâcha un grognement parce que même au nom de leur solide amitié, il n'avait aucun désir à le voir à cet instant précis.

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⏰ Last updated: Feb 21 ⏰

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L'Armée Noire - Tome 1 [Remanier]Where stories live. Discover now