Chapitre 8 - Bis - Damien

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Toute l'après-midi, j'ai la tête complètement ailleurs. Ce match m'a vidé de mes dernières forces. Je n'ai plus la condition physique pour m'autoriser une intensité de jeu pareille. Mais qu'est-ce que ça fait un bien fou ! Jouer avec un basketteur aussi bon est un réel plaisir. Le goût du challenge renaît au creux de mes entrailles. Je rêvasse à sa proposition.

— À quoi tu penses ? s'interpose Romain.

Je souffle, épuisé.

— Eh bah ! Dis-moi, tu n'as pas dormi ou quoi ? se moque mon voisin.

— J'ai joué au basket à midi.

— Tu as quoi ?

— J'ai joué au basket.

— Non, mais j'ai compris. Je voulais dire comment ça tu as joué ? Et avec qui ? Pourquoi je n'ai pas pu assister à ça ?

— Ce n'était pas prévu. Ça m'est tombé dessus !

— Mais encore ?

— Comme d'habitude, je traînais au bord du terrain. Tomas et John s'entraînaient et puis John s'est blessé. Donc du coup, je l'ai remplacé.

Sa mâchoire se décroche.

— Bah quoi ? protesté-je.

— Rien. Je suis juste surpris que tu l'aies remplacé. Ça ne te ressemble pas.

— Je sais. Moi aussi, ça m'a surpris. Je ne voulais pas au début. Je voulais fuir, comme d'habitude, mais...

Ma phrase reste en suspens, réfléchissant à ce qui m'a réellement poussé à y aller.

— Mais ?

— Victoria...

— J'en étais sur ! m'interrompt-il, grand sourire aux lèvres.

— Tu me laisses même pas finir.

— J'en ai pas besoin. Je connais la suite. Tu as voulu impressionner cette nana. Allez je te comprends tu sais.

Une tape sur l'épaule accompagne ses paroles.

— Ce... ce n'est pas ce que tu crois.

Alors pourquoi j'ai le sentiment de rougir ? Je me reprends pour aller au bout de mon explication cette fois.

— Je disais donc que Victoria a shooté dans mon sac pour me dissuader de partir. Et Tomas m'a carrément imposé de le rejoindre.

— Et toi en âme charitable, tu as cédé. Et sinon, la vraie raison ?

J'hésite un instant, respire un grand coup comme si prononcer cet aveu allait me brûler la gorge.

— J'en avais envie.

Les mots sont sortis. Ça y est, ils ont traversé la barrière de mes lèvres. Et sans douleur. Le poids qui m'oppressait s'envole, me laissant plus léger. Je n'avais pas conscience de son existence jusqu'à ce que j'éprouve cette libération.

— Et bien voilà. Je vais enfin avoir une bonne raison de rôder près du terrain, une raison autre que mater bien entendu, comme encourager mon ami.

Un sourire béat né sur mes lèvres quand je discerne les étincelles qui brillent dans son regard. Ce sont celles d'une personne fière. Romain vient de recoller quelques morceaux de mon cœur brisé.

— J'ai dit quoi pour avoir le droit à cette moue complètement niaise ?

Il est trop tard pour ravaler mes sentiments. C'est une nouvelle année, un nouveau départ. J'ai déjà parcouru du chemin et si je devais prendre un risque, celui-ci me semble bien plus mesuré que d'aller à l'entraînement de ce soir.

— Que je suis ton ami, avoué-je.

— Tu en doutais ?

— Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu d'ami !

— Et Victoria alors ?

— Victoria ?

— Oui, tu sais, la nana qui te tourne autour tel un vautour autour de sa proie ? Celle qui en pince sévèrement pour toi sans que tu ne daignes t'en apercevoir. À croire que tu es aveugle.

— Tu te fais des idées.

— On en reparlera, mon ami !

Il appuie volontairement sur ce dernier mot, avant que nous nous plongions dans le cours.

La journée studieuse se termine, une autre débute. Romain m'escorte jusqu'aux portes du gymnase. Je puise dans son regard, la force nécessaire pour franchir le seuil.

— Tu sais, je peux t'accompagner jusque dans les vestiaires, ça ne me pose pas de problème, blague-t-il.

Je le remercie de chercher à me détendre. Le pire dans tout ça, c'est que son aisance parvient à me dérider. Un peu. Je l'envie. J'aimerais moi aussi me foutre de ce que les autres pensent de moi. Faire ce que je veux, m'épanouir. Vivre ma jeunesse avant qu'elle ne file trop vite. M'assumer tel que je suis simplement.

Quelques sportifs arrivent à notre niveau.

— Tu dois être Damien ? m'interroge l'un d'eux.

— Euh... oui.

— Tomas nous a dit que tu viendrais.

— Euh... oui, juste voir comment se passe un entraînement.

— Adrien, se présente-t-il en me tendant la main. Je te montre les vestiaires ?

J'accepte sa proposition et salue mon ami. Quand la porte se referme, je secoue la tête devant les signes d'encouragement ridicule que Romain entreprend. Un pouce levé aurait suffit, mais non, il joue dans une cour différente en exhibant des biceps tel un bodybulder pour m'indiquer que je suis le plus fort. Cependant, je devrais le remercier, son entrain est contagieux. Et c'est le cœur gonflé à bloc que j'arrive sur le bord du terrain, en tenue. Ce qui n'était pas prévu à la base.

Poussé par les membres de l'équipe, j'ai mimé leur geste jusqu'à me retrouver sur le même banc, attendant l'entraîneur.

— Bien les gars, j'espère que vous êtes en forme, nous salue le coach à sa façon. Aujourd'hui, je vous veux productif. C'est parti pour 5 tours de terrain.

Les joueurs s'activent à l'exécution de ses ordres, tandis que je gigote sur l'assise.

— Tu ne vas pas avec eux, Damien ? s'étonne-t-il.

Je regarde autour de moi, comme s'il pouvait s'adresser à quelqu'un d'autre. Mais je me rends à l'évidence que la seule personne présente ici à part lui, c'est moi.

— Tomas m'a dit de venir regarder.

— Et moi, j'aimerais que tu fasses l'entraînement, ajoute-t-il en insistant bien sur le verbe faire. Lequel de nous deux décide à ton avis ?

— Vous, je suppose.

— Bien, du coup, au travail, jeune homme. Cette fois, je voudrais te voir à l'œuvre sans que tu prennes tes jambes à ton cou.

Une chaleur désagréable prend possession de mon corps. La honte m'envahit et je presse le pas pour rejoindre l'équipe.

— Attends petit.

Je me retourne pour lui faire face tout en évitant son regard.

— Si Tomas a pris des libertés et donc des risques, c'est qu'il croit en toi. Et s'il croit en toi, moi aussi. Prouve-moi qu'on a raison.

— Oui monsieur.

— Dans quelques heures, ce sera probablement coach, me lance-t-il avant de se détourner.

Il me faut plusieurs minutes à tourner autour du terrain pour intégrer ses derniers mots. « Ce sera coach ». Est-ce une invitation à intégrer l'équipe ? Ai-je rêvé ses paroles ? Quoi qu'il en soit, mon destin est maintenant entre mes mains. À moi de décider du chemin.

Leçons de confiance (anciennement Learn to trust)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant