Chapitre 19 - Damien

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Qu'est ce que je fous là. Honnêtement ?

J'ai regardé tellement longtemps le numéro du thérapeute affiché sur l'écriteau qu'il est imprimé sur ma rétine. Je serais capable de le composer de mémoire pendant des semaines encore. Par contre, trouver le courage d'appuyer sur cette foutu sonnette, c'est au-dessus de mes forces.

Pourquoi suis-je venu ? Pourquoi ai-je même pris un rendez-vous au juste ?

Une jeune adolescente avec sa mère passe le pas de la porte. Le silence de plomb entre les deux témoigne de la tension palpable qui émanent d'elles.

Et en plus, je n'ai aucune garantie que cela soit efficace. Quand je vois les clientes qui viennent de quitter le bâtiment, j'en doute. Peut-être que la jeune fille n'a pas ouvert la bouche de la séance. Qu'elle n'a pas voulu dire un seul mot et que la situation reste au point mort. Mais peut-être que c'est la mère le problème. Qu'elle fait sans cesse des reproches et dévalorise sa fille qui ne sait plus quoi faire pour la satisfaire et se sent dévalorisée.

Mes pensées s'égarent et s'imaginent la vie que pourraient mener ces inconnus alors que je ne suis déjà pas capable de gérer la mienne comme il se doit.

Je me faufile dans l'embrasure avant que la porte ne se referme. Je monte au second étage au ralenti, comptant les marches sur mon passage. Machinalement, je sonne au cabinet et m'installe en salle d'attente. La pièce est lumineuse, presque éblouissante, mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur la décoration, la thérapeute vient me chercher.

— Monsieur Lograin ?

— Oui.

Je me tords les doigts en avalant les mètres qui me séparent du bureau.

— Mettez-vous à l'aise, me demande-t-elle.

Contrairement à tout ce que j'ai pu voir dans les films, je ne suis pas assis sur un canapé confortable sur lequel je pouvais m'allonger et pleurnicher. Alors certes, il y a un bien un divan dans un coin de la pièce, mais pour le moment, je n'ai le droit qu'à une chaise en bois, plutôt rustique. Entre la professionnelle et moi, une table fait barrière. S'il y a un bien un cliché de vraie, c'est la boîte de mouchoir qui trône en son centre. En libre service.

Les utilise-t-on réellement en séance ? Vais-je devoir piocher dedans ?

— Qu'est ce qui vous amène ? commence-t-elle.

— J'en sais rien.

— Il y a bien quelque chose qui vous a poussé à venir jusqu'ici ?

— Sûrement la folie.

— De quelle folie parlez-vous ?

Qu'est ce que je fais assis devant cette femme d'à peine une trentaine d'année, au carré blond strict ? Suis-je fou ? Est-ce pour ça que je suis là ? Parce que je suis fou ? Non. J'ai la certitude que non.

— J'ai pris rendez-vous sur un coup de tête en pleine nuit.

— Que faisiez-vous réveiller à cette heure-là ?

— Je n'arrivais pas à dormir.

— Savez-vous pourquoi ?

Je triture mes doigts, en faisant vibrer ma chaise sous mes tremblements. L'aiguille de l'horloge rythme le silence qui s'installe. Tic-tac tic-tac.

Je cherche des mots qui ne me viennent pas. Que dois-je dire ?

— Vous pensiez à quelque chose en particulier ?

Rien.

— A un moment de votre journée qui trottait dans votre tête ?

Je tourne ma langue dans ma bouche, ouvrant légèrement les lèvres avant de les souder à nouveau. J'avale avec difficulté.

— J'ai besoin d'un point de vue extérieur.

— Bien entendu. Sur quel sujet exactement ?

— Sur ma vie.

— Pour cela, il faut que j'en sache plus.

Les yeux rivés sur le mouchoir qui dépasse de sa boite, ma langue se délie jusqu'à ce que l'heure soit écoulée. Lorsque le ton monte et que ma respiration s'emballe sous le flot de parole accéléré par la rancœur, le coton bouge sous mon souffle. C'est imperceptible pour celui qui n'y fait pas attention, mais ca l'est pour moi qui scrute le carré blanc comme si c'était une ancre à laquelle me raccrocher.

— J'ai vécu un an d'enfer suite à une erreur de jugement. Depuis, le moindre regard me fait perdre mes moyens. Je retourne des mois en arrière, propulsé dans cette université qui hante mes cauchemars.

Tandis que je parle, j'entends son stylo glisser sur son carnet. Parfois, il ne fait aucun bruit, parfois, le son de l'encre griffonnée sur le papier se fait plus pressant, plus insistant. Elle réagit à mon discours seulement par sa prise de notes.

— Mais je progresse, j'ai même une copine maintenant. Sauf qu'il m'arrive de retourner là-bas, dans ces couloirs où on riait de moi. Dès qu'un sourire se forme sur le visage de quelqu'un, je doute. J'ai peur. Je ne sais pas à quel type de moquerie j'ai affaire. Ça me pourrit la vie. Je voudrais être un étudiant comme les autres. Profiter de mes amis sans appréhender chacun de leur geste, sans avoir à interpréter ce qu'ils font, ce qu'ils pensent.

— Bien. Damien, nous allons nous arrêter là pour aujourd'hui. Je ne pensais pas que tu t'ouvrirais autant à la première séance, c'est un début très encourageant. Comme tu as pu le voir, j'ai pris des notes. Et j'aimerais que nous abordions certains points dans un prochain rendez-vous.

J'ai passé plus d'une cinquantaine de minutes à vider mon sac. La psychologue n'est quasiment pas intervenue durant mon monologue, alors même si je n'ai pas pu avoir ses conseils ou sa vision de la situation, je suis libéré d'un poids.

Également délesté de soixante euros, je suis néanmoins soulagé. Je programme une seconde entrevue puis retourne à la coloc, fier d'avoir fait un pas en avant, un pas plus grand que tous ceux déjà fait depuis ce début d'année scolaire.

A peine ai-je fait un pas dans l'appartement que Victoria me saute dessus.

— J'ai eu peur. Mais t'étais où ? J'ai cherché à te joindre depuis presque une heure. Ton téléphone était sur messagerie, je me suis inquiétée.

Sa voix résonne de reproches.

— Désolé, j'avais coupé mon téléphone. J'avais besoin de prendre un peu l'air.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

— Tu étais chez toi, je ne savais pas que tu viendrais, ni que tu t'inquiéterai aussi rapidement. Excuse-moi.

Je saisis ses mains pour y déposer un tendre baiser. Je reviens d'une séance qui m'a fait un bien fou, ce n'est absolument pas le moment de me prendre la tête pour des broutilles. Ni le moment d'ailleurs pour lui donner la véritable raison de mon absence.

— D'accord, la prochaine fois préviens-moi que je ne m'inquiète pas.

— Promis.

Et d'un bisou sur le front, je désamorce complètement la bombe qui aurait pu exploser.

Learn to trustWhere stories live. Discover now