Chapitre 10 - Victoria

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À contrecœur, je quitte le corps chaud de Damien. Il a posé LA question. Celle à laquelle je ne voulais pas répondre. J'ai senti les iris de Tomas me transpercer, me sonder. Il a compris à ma mine déconfite que je ne souhaitais pas lui révéler la vérité. D'ailleurs, il s'en est plutôt bien sorti avec son excuse contrairement à moi, où tous mes moyens se sont emballés. Si je ne désirais pas paraître coupable, m'enfuir de la sorte n'était probablement pas la meilleure solution. Ce n'est pas une façon de se comporter quand on n'a rien à se reprocher.

Mes pas rapides me portent jusqu'à la cuisine. La tête dans le frigo, mes narines protestent quand les relents de pizza froide s'y engouffrent. Un haut de cœur me brûle la gorge. Je déglutis, un mauvais goût en bouche, mais je reste planquée là. La fraîcheur m'aidant à retrouver mes esprits.

Victoria, calme-toi. Après tout, tu n'as rien fait de mal. Regarde où il en est grâce à toi.

Mais, m'en voudra-t-il s'il apprenait la vérité ? S'il savait que c'est moi qui ai incité Tomas à le faire jouer ? Heureusement que j'ai gardé la vidéo secrète, je me sentirais encore plus coupable en ce moment précis.

De son bip sonore, le réfrigérateur m'informe que je suis restée trop longtemps dans mes pensées. Je le referme après avoir saisi une bouteille d'eau fraîche. Les gorgées du liquide transparent gèlent tout sur son passage, de ma langue jusque dans ma trachée, emportant avec lui le goût amer qui traînait là. Je me ressaisis petit à petit, tendant l'oreille pour discerner des bribes de conversation. Une vague de soulagement déferle quand je constate que celle-ci a déjà dévié vers un autre sujet.

— Vic, je crois que c'est le moment de rentrer chez nous ! Il commence à vraiment se faire tard, crie Mady.

— J'arrive !

Oui, c'est ça, j'arrive. Mais comment vais-je expliquer mon comportement ? Pourquoi n'ai-je pas simplement fait semblant d'aller aux toilettes ? L'excuse était toute trouvée. Ce traître de cerveau ne réfléchit qu'après coup.

— Je vais vous raccompagner, nous informe Tomas.

— On est grandes tu sais, ne puis-je m'empêcher de dire.

Pourtant, je sais pertinemment qu'il ne lâchera pas l'affaire. Vu l'heure tardive, il ne me laissera pas rentrer seule à pied, même si en réalité, Mady est avec moi. Tomas est frileux et surtout très protecteur. Un peu comme le grand frère que je n'ai pas.

— On part aussi. On peut les raccompagner si tu ne veux pas sortir. Je crois que tu as un peu de rangement à faire ici.

Mes oreilles me jouent des tours ou Damien vient de se proposer pour être notre garde du corps cette nuit ?

— Je croyais que tu n'habitais pas sur le campus ? s'étonne Tomas.

— C'est vrai, mais toi ça te fait ressortir non ?

À ses paroles, un sourire malicieux s'installe sur les lèvres du capitaine, qui s'agrandit quand il croise le sourire niais qui se pavane sur mon visage. Si je pouvais sautiller en serrant des poings comme si je marquais un but, je l'aurais fait. Cependant, j'opte pour garder un peu de décence.

— Les filles ? quémande Tomas.

— Ça nous va, m'empressé-je de répondre.

Je claque la porte de l'appartement après avoir murmuré un merci à l'oreille de mon meilleur ami. Son clin d'œil me confirme qu'il a compris mon message sous-entendu.

Damien et Romain nous escortent dans les allées du campus. Volontairement, je ralentis le pas, laissant un peu d'avance à mon amie qui discute avec notre nouveau coéquipier. Damien, calé sur ma cadence, évolue à mes côtés. J'aimerais prolonger ce moment, pourtant nos lits respectifs nous appellent. Alors, après la soirée passée sur ses genoux, le courage me pousse encore plus loin. Lorsque les yeux indiscrets de Mady et Romain sont hors de portée, je saisis la main de mon voisin. D'abord surpris, ses doigts s'écartent comme par réflexe, avant de revenir frôler les miens. Un sourire timide ourle ses lèvres, sourire que je lui rends. Nos phalanges s'entrelacent finalement, se balançant entre nos deux corps au rythme de nos pas.

Je lance mon sac de sport dans les vestiaires et m'affale sur le banc aux côtés de ma meilleure amie.

— Vive l'enthousiasme ! se moque-t-elle.

— Cette journée a été d'un ennui mortel, me plaigné-je.

— Allez un peu de positif s'il te plait ! C'est le moment de convaincre la coach d'intégrer Romain.

— Tu as raison, mais tu en as parlé aux autres filles ?

— Pas encore, je les attends. Tu vois bien qu'il n'y a que nous ici. Elles sont ponctuelles, mais pas en avance comme nous, se marre-t-elle.

Avec Mady, on a pris l'habitude d'avoir toujours notre petit quart d'heure seules dans les vestiaires avant un entraînement. Moment où nous partageons les futilités de la journée. Un moment de décompression entre amies. Ou encore, un moment de confidence. Et aujourd'hui, c'est sur cette dernière option que notre choix s'est porté.

— Tu crois que Damien s'intéresse à moi ?

— Je crois qu'il en pince, mais qu'il a du mal à s'ouvrir.

— Pire qu'une huître. Pourtant, je ne pense pas le brusquer.

— Je suis d'accord avec toi Vic, mais on voit bien qu'il est... différent.

— Il a une sorte de vulnérabilité qui me met en confiance. Je pense que c'est ce qui m'a attiré chez lui.

— Et pas son physique canon ?

— Aussi, mais tu vois qu'il n'en joue pas. Je ne sais même pas s'il en a conscience. Je ne saurais pas expliquer, mais j'ai envie d'être avec lui. Être plus qu'une amie.

— Alors, patiente un peu. Tu crois que je n'ai pas vu que tu as élu domicile sur ses cuisses hier ? Que je n'ai pas vu ses mains enserrer ta taille ?

Je souris à ses souvenirs.

— Ouais, c'est bien de ça dont je parle, se moque-t-elle en pointant mon visage. Donc je dirais que ça avance. Peut-être pas autant que tu aimerais mais ça avance. Laisse-lui le temps. Et puis, c'est pas comme si tu n'étais pas célibataire depuis des mois et des mois ? Où est la nana qui prône son célibat et le non-attachement ? Dois-je te rappeler que tu n'as jamais gardé un seul mec plus d'une ou deux soirées ici ?

— Justement avec lui, je sens que ça va être différent.

— Vu comment tu galères à l'avoir, j'espère bien que ça durera plus de quelques heures effectivement.

Nos rires légers se mélangent au brouhaha de nos coéquipières. La porte s'ouvre brusquement, claquant contre le mur.

— Hey doucement, les filles, on vous entend de loin, vous savez ! Pas besoin de tout casser, proteste Mady sans conviction.

En quelques secondes à peine, l'atmosphère se charge en ondes positives, dégagées par la vague humaine de nanas surexcitées.

— On peut dire que leur entrée est toujours fracassante, glissé-je à l'oreille de Mady.

— Espérons qu'elles gardent le même sourire quand je leur annoncerai la nouvelle.

Learn to trustOù les histoires vivent. Découvrez maintenant