Chapitre 4 - Qua - Victoria

179 25 7
                                    

Lorsque nous passons aux abords du terrain de basket, une silhouette que je reconnais sur le champ attire mon attention. Mady cramponnée à mon bras sent que la cadence de mes pas ralentit. Son regard en coin en dit tout autant que ses paroles :

— Je ne t'attends pas pour dormir, je suppose ?

— Arrête, soufflé-je d'un ton blasé, détournant la tête.

Elle sait que je meurs d'envie de le retrouver. De l'assaillir de questions. Elle capitule avant même d'essayer de me faire changer d'avis, me claque un bisou sur la joue et part en trottinant gaiement.

— À demain, Vic !

Je la salue à mon tour avant d'asseoir mon postérieur sur le bois humide en cette fin de soirée. J'observe le garçon dont le comportement actuel m'échappe. Lui habituellement peu expressif, sur ses gardes, plutôt même introverti, délivre une aura inquiétante. Son corps balance des gestes colériques, tandis que mes oreilles captent des grognements. La panique et la détresse ont quitté ses traits, remplacées par des émotions plus sombres et empreintes d'exaspération.

Enfermé dans sa bulle, ma présence ne l'interpelle pas. Ses yeux sont rivés sur ses mains, son ballon, le panier. Une rage dégage des actions qu'il effectue, comme pour libérer une frustration intense. Je n'aimerais ni être sa balle orange ni le filet dans lequel elle enchaîne les passages. Bien que brute, j'admire la technique de ce garçon si discret. Je le savais fan de basket, mais pas aussi bon pratiquant.

Je sors clandestinement mon portable pour immortaliser l'instant. S'il m'apercevait le filmer à son insu, surtout avec son humeur actuelle, je ne donnerais pas cher de ma peau. Alors, je fais en sorte de laisser uniquement l'objectif dépasser de mon sac et feins ne pas prêter attention à mon téléphone ainsi calé. La prise de vue semble correcte, mais pour ne rien louper, j'active l'option grand-angle.

J'étudie les mouvements de cette nouvelle facette de Damien, en essayant de distinguer les figures que Tomas m'a appris à identifier. La tâche est fastidieuse, mes pupilles dévient sans arrêt vers les muscles dénudés de son corps, vers sa peau luisante, ses cheveux en bataille, sa mâchoire carrée contractée et ses pommettes saillantes. Je ne peux nier mon évidente attirance.

Ses iris assombris braquent son objectif, tandis qu'il se tient en profil du panier. Deux enjambées, un appui, un saut et son bras effectue un mouvement en forme d'arc pour envoyer valser la balle dans son filet d'une seule main. L'autre semble repousser un adversaire invisible, comme s'il se battait réellement contre quelqu'un. Ou peut-être contre lui-même. Je souris à l'idée d'avoir pu capturer ce hook shoot.

Les tirs s'enchaînent durant une dizaine de minutes et ne se ressemblent qu'en un seul et unique point : ils finissent tous dans l'arceau. Damien termine sa séance de défoulement par un layup gauche-droite, abandonnant délicatement son ballon qui roule dans sa paume, effleure le bout de ses doigts avec l'impulsion suffisante pour aboutir dans le filet, sans même toucher la planche. Puis, il s'écroule au sol dans un rugissement. Bras en croix, jambes écartées, le démon éphémère cède sa place à l'ange habituel. L'atmosphère se fait plus calme, la tension est chassée d'un coup de vent et je reprends enfin ma respiration.

Le temps se suspend. La poitrine de Damien, figé sur le bitume, décélère de sa course folle. Je n'ose plus bouger, encore soufflé par ce que je viens de voir. Comment a-t-il pu fuir les sélections ? Pourquoi n'est-il pas allé au bout de sa démarche ? L'équipe universitaire a assurément besoin d'un joueur comme lui. Tomas n'en reviendrait pas, lui qui se plaignait du manque de talent des postulants de ce soir. 

Et si je donnais un coup de pouce au destin ?

Learn to trustNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ