Chapitre 30 - Victoria

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— Oh, mais qui vois-je ? résonne une voix que je reconnais encore malgré les années passées.

Je feins de l'ignorer, implorant le ciel pour que ce soit seulement un cauchemar et que cette personne ne s'adresse pas à moi.

— Victoria ! Tu pourrais faire l'effort de saluer un vieil ami quand même.

Mes membres se raidissent. Mady à mon bras, elle me regarde surprise de ma réaction.

— Tu le connais ?

— Viens, on s'en va.

Mon ton est sans appel. Je dois partir d'ici le plus vite possible.

— Attends, on a pas eu le temps de se remémorer le passé, intervient-il en m'attrapant par le bras.

Son contact déclenche une vive brûlure à mon épiderme. En réaction, d'un geste sec je me soustrais de sa prise en pestant.

— Vire tes sales pattes de là.

— Oh, je vois que tu as retrouvé ta voix.

— Y'a un problème ? demande Damien en se postant à côté de moi.

S'il te plait Damien, reste en dehors de ça. Ce n'est pas le moment de chercher à me défendre. Pas avec lui. Pas devant lui.

— Non aucun, je crois qu'il est temps de rentrer, articulé-je.

— La fête commence seulement, insiste Loïc, mon ex-petit ami.

Un râle grossier s'extirpe de sa bouche. Je grimace d'entendre ce son répugnant.

Tomas apparaît dans mon champ de vision un verre à la main et m'interroge du regard. Lorsque je le fuis, il comprend que quelque chose ne tourne pas rond. D'un simple coup d'œil, il me déchiffre, comme toujours.

Je fais demi-tour et enclenche un repli vers la sortie. Un pas, puis deux, et quand je pense qu'il en restera là, je me plante totalement.

— Alors lequel est l'heureux élu ? Je veux dire celui qui t'a mis dans son pieu.

— Ta gueule, Loïc ! vociféré-je.

— Hum... tu cries toujours aussi fort que quand tu étais dans mon lit !

Je rage devant son air hautain et confiant que j'aimerais lui faire ravaler. Il se mord la lèvre comme s'il repensait au moment où j'étais la plus vulnérable de ma vie. Sa langue passe sur la courbure de sa bouche, en dessinant les contours, mais rien n'est sexy dans ce jeu de séduction. Tout me rend nauséeuse. Ce regard noisette que je déteste, ce sourire hypocrite.

Mes ongles s'enfoncent dans la peau de mes paumes, à m'en faire un mal de chien. Je me concentre sur cette douleur pour canaliser la rage qui bout en moi.

Je constate que les garçons qui m'accompagnent sont dans le même état que moi. Sur le qui-vive. Comme des bûches prêtes à s'embraser à la moindre étincelle. Damien amorce un mouvement en direction du connard qui me fait face, mais je l'arrête, ne souhaitant pas lui attirer des ennuis.

— Laisse tomber, il n'en vaut pas la peine.

— Il est au courant au moins pour toi ? riposte de nouveau Loïc.

S'il en était capable, mon regard tirerait une balle. Une seule. Il suffit d'une seule en plein milieu des deux yeux pour le faire taire. Et sauver mon honneur. Pour enfouir six pieds sous terre le secret que je n'ai pas eu le courage de révéler à Damien et qui pourrait tout changer. Tout gâcher. Tout ruiner.

Ne fais pas de connerie Loïc, s'il te plait. Ne fais surtout pas ça.

J'ignore sa confrontation et rebrousse chemin. Ma respiration s'est emballée. Désormais rapide, elle m'empêche de réfléchir correctement. Ajouté à ça, un coup de chaud qui m'enveloppe le corps et me fait suffoquer, je dois prendre l'air. Et vite. Pourtant, le sort s'acharne. Dos à moi, persiste un Loïc bien décidé à me ruiner la vie.

— Il sait que madame prenait autant plaisir à humilier une pauvre innocente qu'à jouir sur ma queue ?

— J'ai dit la ferme !

Je me retourne brusquement. Tendue comme la corde d'un arc, j'aimerais lui décocher une flèche pour le faire taire. Pour que plus rien ne sorte de sa foutue bouche.

— Tu lui as dit que je t'ai remise à ta place pour que t'arrêtes de fanfaronner ? Parce que ouais, tu l'as bien fermé ta gueule quand t'as vu que tu valais pas mieux qu'elle !

— Tu sais très bien que tout venait de toi, hurlé-je.

Je m'approche de lui, bombant le torse comme si j'allais pouvoir faire quelque chose contre lui. Le mal est fait.

— Victoria, qu'est-ce qu'il veut dire ? m'interroge Damien.

— Damien... commencé-je.

Ma main cherche la sienne, mais il esquive mon geste. Nos peaux se frôlent dans une décharge électrique. Sa mâchoire contractée par la colère déforme ses traits. Je n'avais encore jamais vu cette facette de lui. Il se dirige droit sur Loïc, avec ces colocataires sur les talons, et s'arrête à quelques centimètres de lui, obligeant ce dernier à lever le menton pour le regarder dans le blanc des yeux. Les garçons font désormais un mur entre lui et moi.

Damien agit avec sang-froid. À sa posture, je comprends qu'il ne rigole pas, impassible, il lâche avec détermination :

— Mec, on sait tout, alors maintenant dégage.

Il se retourne face à moi, l'expression dure, presque intransigeante. Je perds mes moyens. Je tremble quand il m'agrippe la main pour m'entraîner hors de la maison.

Nous parcourons les mètres qui nous séparent de la voiture sans échanger le moindre mot. Tomas déverrouille les portes et chacun monte dans le van. Adrien et John arrivent les derniers et claquent les portières.

Tétanisée, je n'ose pas regarder Damien. Et il ne fait rien pour désamorcer la bombe. Seul le battement emballé de mon cœur parvient à mes oreilles. Il tambourine sans se calmer. L'orage n'est pas terminé, la tempête arrive. Je le sens. Je sens cette humidité dans l'air, cette électricité perceptible prête à fendre les cieux.

Tomas rompt le silence pesant

— Victoria, tu nous expliques ?

Je reste silencieuse. Les mains calées entre mes genoux qui tressautent.

— Vic ? insiste Mady.

— Pas maintenant, supplié-je.

Le moteur démarre instaurant un nouveau silence dans l'habitacle.

Je dois parler à Damien, mais pas ici. Pas avec tout le monde autour de moi. Comment va-t-il réagir suite à cette soirée désastreuse ? Quelle était la probabilité pour que je tombe sur Loïc ? La probabilité que je le revoie même un jour ? Quasi nulle à croire que « quasi » n'était pas suffisant. Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Alors que je nage dans le bonheur depuis plusieurs mois. Pourquoi a-t-il fallu que le passé vienne gâcher ça ?

Damien m'a défendu avant de partir, alors il y a de l'espoir qu'il ne m'en veuille pas. Mais si c'était le cas, pourquoi est-il silencieux ? Pourquoi ne m'accorde-t-il pas un regard ? Pourquoi j'ai l'impression d'être assise à côté d'un mur ?

Damien, s'il te plait, fais-moi un signe.

Je déglutis péniblement durant les dix minutes de route qui sépare l'hôtel des lieux du drame. Dix minutes, où j'ai traqué le moindre geste de Damien qui pourrait me donner un indice sur son état d'esprit. En vain.

Lorsque nous sommes garés, Damien trace sa route jusqu'à la chambre, sans un regard en arrière pour les autres. Complètement enfermé dans sa bulle, il monte à l'étage et pénètre dans la chambre. Néanmoins, il la laisse entrebâiller. J'interprète ça comme une invitation à entrer. Après, nous partageons la même chambre. S'il m'avait claqué la porte au nez, j'aurais su à quoi m'en tenir. Ce n'est pas le cas. La discussion n'est pas totalement fermée.

Je verrouille derrière moi et m'assois à côté de lui sur le lit. Comme une balance, alors que mon corps s'enfonce dans le matelas, le sien à l'inverse, se soulève. Il met de la distance entre nous et s'adosse au bureau.

C'est mal barré.

Leçons de confiance (anciennement Learn to trust)Where stories live. Discover now