Chapitre 32 - Damien

45 15 0
                                    

Deux jours que j'évite avec habilité mes colocataires. Je prétends avoir beaucoup de boulot, mais ils ne sont pas dupes. Respectueux, ils acceptent de me laisser l'espace dont j'ai besoin. Cependant, ce soir, j'en ai assez de me cacher. De faire comme si c'était moi qui avais fait quelque chose de mal.

— Après l'entraînement, ça vous dit une plâtrée de carbonara ? proposé-je à mes colocataires.

— Carrément ! C'est toi qui cuisines ? s'enthousiasme John.

— Évidemment, je compte pas sur toi, sauf si je veux une intox alimentaire !

Le rire de mes coéquipiers résonne de bon cœur dans les vestiaires.

Tandis que je lace mon deuxième lacet, Tomas se penche vers moi.

— Content de voir que tu reviens parmi les vivants. J'avais peur de ne plus te revoir.

— Il me faut du temps.

— Je sais.

Sa main compatissante tape mon omoplate avant que nous arrivions sur le terrain.

— Ce soir, c'est récupération. On force pas trop, vous avez bien joué ce week-end, je suis fier de vous. Alors je vous accorde un moment de détente.

Anderson mine des guillemets quand il prononce le mot « détente ». Ici, personne n'est dupe. Sa définition du mot n'est pas la même que nous.

— C'est parti pour dix minutes de course tranquille autour du terrain.

Le coach siffle tout en activant son chrono.

Mes foulées s'enchaînent, je me perds dans mes pensées, bercé par mes chaussures qui claquent sur le sol.

Un brouhaha interrompt ma rêverie. Des voix féminines retentissent dans le couloir qui longe le terrain. Un attroupement se forme au niveau de la double porte battante. Notre fan-club est arrivé. J'évite soigneusement de regarder les cheerleaders. Je ne souhaite pas croiser le regard de Victoria. Voir l'expression de son visage qui pourrait me faire craquer. La trahison est trop récente pour que je tolère de lire sa peine. Je n'ai pas répondu à ses messages. J'ai pris le temps de les lire, ce qui est déjà un effort en soi. Et je n'ai d'ailleurs pas bloqué son numéro ni changé le mien, ce qui est déjà un exploit en soi. Je travaille sur moi, pour ne pas fuir la situation comme j'ai fui la précédente. Je l'affronte. Du moins, je l'affronte à ma façon, avec mes règles.

Quand j'arrive à leur niveau, je crois distinguer mon prénom, mais je ne m'arrête pas. Je poursuis ma route, impassible. Pourtant, une boule broie mes organes internes.

Comment en suis-je arrivé à faire du mal à quelqu'un ?

Nos spectateurs se dispersent pour rejoindre leur salle d'entrainement. Mon rythme cardiaque redescend d'un cran.

— Bon du coup, on se fout sur le canap, et tu nous sers c'est ça le programme ? balance John en arrivant à la coloc.

— Si l'un de vous souhaite m'aider, il peut.

— Te sens pas obligé de nous impliquer, proteste Adrien.

— OK, ça va j'ai compris.

— Mec, tu as disparu dans ta tanière depuis dimanche. Tu reviens la fleur au fusil. Faire la bouffe seul ce soir, c'est pas cher payé pour revenir parmi nous, se moque John.

— C'est vrai que les peines de cœur vous connaissez pas vous, faudrait déjà vous trouver une nana assez longtemps, riposte Tomas.

Je lui adresse un sourire qu'il me rend. Ce capitaine à la tête sur les épaules. Il a une faculté à se mettre à la place des autres très développée. D'un simple regard, il t'analyse, il te comprend, parfois sans avoir besoin de prononcer le moindre mot. Je ne sais pas ce que souhaite faire Tomas plus tard, néanmoins, je le vois bien dans l'humain. Il pourrait me faire économiser pas mal d'argent plutôt que de continuer mes séances de psy, mais le regard extérieur de Mme... est important. Elle n'a pas de parti pris.

Il s'installe au bar devant moi et regarde mes gestes avec attention. Je prends ça pour une proposition d'aide et lui glisse entre les bras, le guanciale, fraîchement acheté, et un couteau bien aiguisé.

— Je te laisse couper ?

Bien que mon intonation suggère une question, en réalité, c'est plutôt une affirmation.

— Comme si j'avais le choix, se marre-t-il.

Tandis qu'il se met au travail, je prépare le reste de la carbonara : un mélange d'œufs et de parmesan. J'assaisonne le tout et laisse de côté la préparation. Je sors une grande casserole dans laquelle je fais bouillir l'eau, attrape les morceaux de charcuterie découpés par Tomas que je saisis à la poêle.

Seul le bruit des ustensiles résonne dans la cuisine. En fond, mes deux autres colocataires qui se disputent. Lorsque la planche échoue au fond de l'évier, il ne reste plus qu'à attendre.

Mes mains aimeraient trouver quelque chose pour s'occuper, mais l'eau n'est pas encore prête.

J'essaie de meubler le blanc instauré entre nous deux.

— Une préférence pour les pâtes ?

— C'est toi le chef.

— Spaghettis dans ce cas.

Nouveau silence.

La vibration de mon téléphone sur le plan de travail me fait sursauter. Un nom s'affiche : Victoria. Nom qui n'a pas échappé aux yeux de lynx de Tomas. Je range malgré tout mon téléphone dans ma poche, sans ouvrir la notification.

— Tu veux en parler ? tente-t-il.

Je soupire avec exagération.

— Je ne te force pas.

— J'en sais rien, avoué-je. Dès fois, j'ai envie de crier mon désarroi face à la situation, mais à quoi bon ? Et je me mets aussi à la place de Victoria, je sais qu'elle souffre. Pourtant, je n'arrive pas à me résoudre à lui pardonner.

— Je pense surtout que tu as plein de choses à dire, mais que tu ne sais pas comment les exprimer pour ne froisser personne. Tu es triste pour tes propres raisons. Elle pour les siennes. Je ne veux prendre le parti d'aucun des deux. Mais si tu as besoin de cracher ton venin pour te soulager, je suis là.

L'eau déborde de son récipient et je me précipite pour l'enlever du feu. Cette coupure est bienvenue dans notre conversation, une porte de sortie pour la fuir. Muni de l'éponge, je nettoie l'eau brûlée et repositionne la gamelle sur son emplacement. J'y glisse les pâtes puis lance le chronomètre.

Lorsque j'ouvre le placard pour servir les assiettes, Tomas se tient derrière moi. Je lui fourre dans les mains et me fais signe qu'il a compris. Notre conversation s'arrête là pour aujourd'hui. D'un amical signe de tête, nous n'aborderons plus le sujet, en tout cas, pas ce soir.

Le plat bouillant de pâtes carbonara trône au milieu de la table du salon. Je dépose de bonnes doses dans les assiettes de mes colocataires, le sourire aux lèvres. Content de partager ce moment avec eux. Un peu de légèreté après ces derniers jours me fait du bien.

— Et si on se faisait une soirée mec à la coloc ce week-end ? propose John

— Nous quatre ? demande Adrien

— Non, tous les gars de l'équipe ? On pourrait se faire une compète de jeux vidéos ? On ferait des équipes et on foutra la raclée aux autres. Avec de bonnes bières bien fraîches !

— C'est une bonne idée, approuve Tomas.

— Damien ?

John requiert mon consentement. Je ne voudrais pas les priver d'une soirée décontractée alors je valide.

— Et bien parfait. J'envoie l'invit'. Enfin, après avoir fini de bouffer.

Leçons de confiance (anciennement Learn to trust)Where stories live. Discover now