Chapitre 4 - Bis - Victoria

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Laurie et Gaëlle, deux copines de l'équipe, sont également mises à contribution.

J'attrape mes pompons et tandis que nous prenons place, les participantes s'alignent pour nous faire face. Je profite de ce petit moment de flottement pour regarder en direction des basketteurs. Je repère aisément celui qui occupe mon esprit bien plus qu'il ne le devrait. Bien plus qu'aucun autre homme depuis des mois. Sa silhouette élancée patiente derrière des joueurs en pleine évaluation. Ses muscles échauffés ressortent de sa tenue sportive, même à cette distance. Je me remémore ma main sur sa cuisse lors de notre première rencontre. La sensation serait-elle différente après un effort physique ? Serait-elle plus grisante ? Je chasse ma pensée indécente dans ce contexte et reviens poser mes yeux sur son visage. Son nez droit ne supporte plus le poids de ses lunettes qu'il a troquées pour, sans doute, des lentilles. Si seulement je pouvais m'approcher pour voir ce changement de plus près. Distinguer l'intensité de ses iris autrement qu'à travers les verres de sa monture. Contempler leur couleur d'un vert singulier.

— Vic !

— Pardon, m'excusé-je en me positionnant aux côtés de Mady.

— Tu auras tout le temps de le mater après, me glisse discrètement cette dernière, les lèvres retroussées.

Ma langue tirée lui répond avec nonchalance.

Je placarde un sourire sur mon visage en réponse à celui de mes coéquipières lorsque la musique retentit.

J'évolue face à Gaëlle, Mady à ma droite, en miroir avec Laurie. Un bras plié sur la poitrine, l'autre tendu, puis j'alterne en rythme avec la musique: droite, gauche, haut puis bras avant de rassembler les deux. Des mouvements simples avec le haut du corps, mais coordonnés avec nos pas, pour rejoindre notre position en losange. De là, l'enchaînement se complique légèrement avec une cadence plus rapide, entraîné par la mélodie. Nos jambes se soulèvent, nous font tourbillonner et sauter. Le tout synchronisé les unes avec les autres. Durant ces quelques secondes de chorégraphie, je me laisse entièrement emporter, vide mon esprit de pensées parasites. Mon attention est accaparée par mon corps et ses sensations. La dureté du sol du gymnase qui résiste sous mes baskets à chaque appui. Les pompons qui frôlent mon épiderme lorsque je les secoue. La contraction de mes joues qui maintiennent mon sourire en place. Mon rythme cardiaque qui augmente progressivement et ma respiration qui gonfle mes poumons. Le bien-être s'infiltre par tous les pores de ma peau. Pourtant, ce n'est pas une compétition, ce n'est pas une représentation devant l'université entière pour une rencontre sportive. Non, c'est seulement une danse que nos aspirantes devront apprendre pour la semaine prochaine, pour leur évaluation. Mais, le plaisir est le même, le stress en moins.

Notre démonstration finie, des applaudissements me sortent de ma bulle. Je tape dans les mains de mes amies avant de faire face aux spectatrices.

— Bien, vous avez vu qu'il n'y a rien de bien compliqué dans cet enchaînement. Vous passerez en binôme. J'ai tourné avec Gaëlle une vidéo explicative que je vous ferai parvenir ce soir. Si vous n'avez pas de questions, on s'arrête là pour aujourd'hui, conclut Mady.

Je range mes accessoires dans mon sac bandoulière rose que j'affectionne, bois quelques gorgées d'eau pour rester suffisamment hydratée. L'effort était moindre, mais une bonne hygiène de vie ne fait pas de mal.

Je retrouve mes copines sur le bord du terrain.

— Vous pensez qu'on trouvera des perles parmi les nouvelles ? questionne Laurie.

— J'espère, souffle Mady.

— Il y a combien de places à pourvoir déjà ? s'intéresse Gaëlle.

— Idéalement, il faudrait quatre à cinq personnes pour remplacer les départs de l'année dernière.

— Allez, on y croit, la rassuré-je.

Je jette un coup d'œil aux filles qui se sont regroupées et qui épient sans discrétion les joueurs de basket. Les commérages vont déjà bon train. Leurs yeux brillent d'envie. Leurs langues déblatèrent un flot de paroles élogieuses sur les corps musclés devant lesquels leurs bouches bavent. Malheureusement, je n'entends pas que du bon, quand elles ne s'arrêtent pas uniquement aux biceps, aux cuisses et autres atouts qui les font languir.

— OK, il est bien gaulé, mais la première chose que je vois c'est quand même sa tête. Et là... ça laisse à désirer.

— Avec une cagoule, ça passe non ?

J'espère qu'elles ne parlent pas de Tomas, et encore moins de Damien, on ne touche pas à mes proches. Je pourrais cracher du venin. Mais ai-je vraiment envie d'avoir des concurrentes aux basques ? Ce n'est moins sûr. Damien est mon challenge personnel. Quelque chose en lui m'attire et je suis incapable d'expliquer quoi. C'est à la fois frustrant et intrigant.

Je le repère sans mal, assis, adossé contre le mur parmi les autres. Ses yeux clos m'interpellent. Sa peau luisante brille sous l'éclairage, sa poitrine se soulève dans un rythme frénétique. Est-il déjà passé pour être dans un état pareil ? Je le fixe avec intensité.

— Toujours hypnotisé par ton beau gosse ? me taquine Mady.

— Oh arrête, tu veux !

Elle regarde dans sa direction, étonnée.

— C'est moi où il a pas l'air bien ?

— Quelque chose cloche.

Ses pupilles presque terrorisées balaient les filles et ne s'arrêtent pas sur moi. Il ne m'a pas vu. Il ne peut pas accrocher mon regard pour y déceler tous les encouragements intérieurs que je lui envoie. Une vague de froid me traverse, son expression reflète une détresse dont je n'identifie pas la source. Puis, mon corps se glace quand il se lève, saisit ses affaires et sort.

J'amorce un mouvement pour le rejoindre, quand une main m'en empêche.

— Je crois que tu devrais le laisser un peu respirer.

— Mais tu as vu dans quel état il était !

— J'ai vu. Et je ne pense pas que cela soit le bon moment. Tu le connais à peine. Il prendrait ça pour de la pitié.

— Non, mais je veux juste savoir s'il va bien.

— Tu crois que tu as besoin d'aller lui demander ? Tu as vu comme moi.

Je ne trouve rien à redire, elle a raison. Je scrute la sortie, chamboulée.

Il est parti.

Seul.

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