Chapitre 31 - Damien

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Je me retrouve seul avec Victoria. Ma tête bourdonne, les paroles m'assaillent. Des mots, des bouts de phrases m'agressent, m'oppressent. J'ai subi tel un automate les dernières minutes qui se sont écoulées, de la fête à ici. De cette foule où le cauchemar a commencé, jusqu'à l'intimité de cette chambre d'hôtel où il risque de se poursuivre. Encore un cauchemar éveillé, un de plus. Un nouveau. J'aurais aimé ne plus en faire, ne plus en vivre. Je pensais mes démons loin de moi, mais finalement, ne sont-ils pas juste à côté ? Sous mon nez ? Ai-je laissé rentrer l'un d'eux jusqu'au fond de mon cœur ? Joue-t-il avec en ce moment même ?

Mon esprit est complètement embrouillé. Embrumé. Comme si de la fumée formait un nuage dans lequel je plane. J'attends qu'une chose, que Victoria souffle dessus pour que je retrouve la vue, que tout s'éclaire. Que Victoria dissipe ce brouillard, je veux comprendre.

Le teint de ma copine a perdu de son éclat. Totalement. Désormais, terne, fermé, triste. Rien ne laisse penser que ce visage est habituellement lumineux, joyeux et plein de vie. Ses traits sont tirés. Ses lèvres ne se relèvent pas, soudées entre elles. Pourtant, elle va devoir les ouvrir pour s'exprimer. La confrontation est inévitable. Impossible de rester dans cette situation, impossible de faire comme si de rien n'était.

Pour ne pas céder à la tentation de la prendre dans mes bras et de la réconforter après l'attaque qu'elle a subie, j'instaure une distance de sécurité entre nous : elle sur le lit, moi au niveau du bureau. Elle assise, moi debout. Ma position s'impose comme celle de force, plus haute, et elle de faiblesse, plus basse. Je n'aime pas ce rapport qui s'installe, mais je ne peux pas me mettre à ses côtés.

« Prenait autant plaisir à humilier une pauvre innocente qu'à jouir sur ma queue »

Qu'est-ce qu'il voulait dire ? Qui est-il exactement ? Elle le connaît sans aucun doute possible, mais quel crédit accorder à ses paroles ?

Elle fuit mon regard, elle triture ses ongles manucurés. Ses jambes s'agitent. Le courage de se lancer ne lui vient pas. Si je veux crever l'abcès, je dois prendre les devants. J'inspire avec intensité, et dans un effort qui me brûle presque la gorge, je me lance.

— Tu as conscience que tu vas devoir expliquer certaines choses ?

— Ce n'est pas ce que tu crois.

— Pour le moment, je ne crois rien. Ou plutôt, je ne veux pas y croire, annoncé-je platement.

Avant que ses lèvres ne se collent de nouveau pour une durée indéfinie, je poursuis.

— Qui c'était ?

— Un ancien copain au lycée.

— Ancien camarade ou ancien petit copain. Y'a une nuance.

— Un ex, si tu préfères.

— Je préfère rien. Je veux que tu sois précise, si tu veux que je comprenne.

Elle dépose ses coudes sur ses genoux pour se prendre la tête dans les mains. Désormais, à part contempler son crâne, je ne peux lire l'expression de son visage.

— Je venais de rentrer en première année de lycée quand je l'ai rencontré. Lui était en terminal.

Elle fait une pause, trop rapide à mon goût. À ce rythme, nous en avons pour la nuit, alors que ce qui m'intéresse c'est ce qu'elle a fait : « Humilier une pauvre innocente ».

Malgré moi, mon impatience prend le dessus. Mon pied tapote sur le sol faisant vibrer le bureau sur lequel je suis appuyé. Un cliquetis métallique résonne en rythme, perçant dans le silence qu'elle impose.

— Ensuite ?

— J'étais jeune. Je ne savais pas ce que je faisais. Je me suis laissée aveugler, entraînée. Je pensais être amoureuse.

Ces paroles ne me disent rien qui vaille. Elles résonnent à mon oreille comme des excuses pour expliquer ce qu'elle va me dire ensuite. Je crains pour la suite. Je chasse les pensées qui me parasitent pour rester objectif, mais plus le temps défile, moins je m'accroche à l'espérance qu'elle n'ait rien fait de mal.

Des frissons me parcourent.

— Il m'a poussé à faire des choses dont je n'avais pas vraiment conscience.

— C'est-à-dire ?

— Je ne savais pas que ça finirait comme ça.

— Comme quoi ?

— J'étais aveuglée, manipulée. Je te promets que je ne voulais pas faire de mal.

— Victoria, putain ! Tu vas répondre à mes questions ?

Mon sang-froid a pris la porte de sortie. Mon ton sec a fait sursauter la blonde sous mes yeux. Mes pupilles enflammées se posent sur elle et lui font comprendre que je ne plaisante pas. J'espérais qu'elle jette de l'eau sur les cendres incandescentes qui patientaient sagement au creux de mon être, pour les éteindre définitivement, mais c'est de l'huile qu'elle y a lancée. Embrasant mon calme, libérant une haine refoulée. Que m'arrive-t-il ?

— Dis-moi ce que tu as fait !

Elle secoue la tête pour rejeter la vérité, pourtant, c'est sans issue pour elle.

— On s'est moqué d'une fille de terminale.

— Qui on ? Quel genre de moquerie ?

Je déglutis. Je vois flou. Pas à cause de potentielles larmes, mais de rage.

— Avec Loïc et d'autres personnes. Il m'a dit que c'était une folle qui s'amusait à le dessiner. Qu'elle s'imaginait des choses à son propos et surtout qu'elle faisait des dessins de lui tout nu.

Mes joues s'empourprent, j'ai chaud. Mes doigts s'agrippent au plateau du bureau. Je serre de toutes mes forces pour me contenir.

— Je n'avais pas conscience de ce que je faisais. En réalité, je suivais plus qu'autre chose. Ça ne partait jamais de moi.

— Mais tu as participé à son harcèlement !

Je crache cette phrase qui n'est pas une question. C'est une affirmation. La réalité me frappe de plein fouet. Je sors avec une harceleuse. Avec quelqu'un qui aurait pu être de l'un des miens. Je secoue la tête en fermant les yeux, cherchant à effacer son visage des gens qui rigolent autour de moi. Cette conversation me propulse plus d'un an en arrière. Des doigts pointés, des bousculades, des messes basses... Tous les étudiants n'ont plus qu'un visage, celui de Victoria.

— Je ne voulais pas, j'ai réalisé trop tard que j'étais aveuglée, manipulée. Loïc faisait de moi son pantin.

— Arrête de rejeter la faute sur les autres. Assume.

Elle se tait, lève les yeux sur moi, implorant mon pardon. Salut que je ne lui donnerais pas. Pas maintenant, pas aujourd'hui. C'est trop frais. La digestion s'annonce longue et douloureuse.

Leçons de confiance (anciennement Learn to trust)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora