Passeur du temps

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« - Papa, ils vont où les objets que je fais disparaître ?
- Ils vont où que tu veux qu'ils aillent.
- Mais c'est où ?
- Partout. L'imagination n'a pas d'autres limites que celles que tu lui imposes.
- Mais du coup, c'est où ?
- Je ne sais pas, moi. Tu n'as qu'à leur demander. »

« - Maman, je crois que je ne fais pas disparaître les objets,  je les fait voyager dans le temps !
- Si tu le dis. Mais tu n'es pas un peu grand maintenant pour avoir des pouvoirs ?
- Tu ne me crois pas ? Mais... mais c'est vrai !
- D'accord, d'accord. »

Tullia marchait dans les rues de Pompéi et essayait d'échapper à Faustus, son petit frère, et ses amis Manius, Opiter et Tiberius. Ils étaient parfois adorables mais pouvaient se révéler très agaçants. Elle s'arrêta dans une petite ruelle, cachée derrière un temple dédié à Mercure, le dieu des commerçants et des voyageurs. Le temple, petit, était peu fréquenté, et cette ruelle encore moins. Elle faisait office de refuge à Tullia, qui avait la certitude d'y être seule.

Elle s'apprêtait à s'asseoir par terre pour profiter de ce moment de tranquillité quand son frère déboula dans la ruelle, suivi par ses amis.

- Trouvée ! s'exclama Faustus, ravi.

Tullia réprima un soupir.

- Bravo ! ironisa-t-elle. Et maintenant, vous allez faire quoi ?

- Comme tu veux pas jouer avec nous, on va t'embêter jusqu'à ce que tu changes d'avis !

- Ouais ! crièrent en cœur les enfants.

- Attendez, intervint Tiberius. C'est quoi ça ?

Il pointa du doigt une étrange boîte, posée juste à côté de Tullia. Elle recula en fronçant les sourcils.

- Je ne sais pas. Elle n'était pas là avant.

Les petits garçons s'approchèrent et Manius attrapa la boîte.

- Ne touche pas à ça ! s'exclama Tullia en la récupérant.

- Ouvre la ! supplièrent les enfants.

Face à leurs regards insistant, elle céda. La boîte était faite dans un matériau qu'elle ne reconnaissait pas, à mi-chemin entre du bois et du parchemin. Elle contenait des petits objets marrons.

- Beurk ! On dirait du caca !

- Mais non, ça sent pas le caca. C'est peut-être de la terre ?

- Ça sent pas la terre non plus. Moi je pense que c'est des fruits.

- Alors ça se mange ?

- Bah, ça a l'odeur d'un truc qui se mange.

- Il n'y a qu'un seul moyen d'être sûr !

Sans que Tullia ait le temps de réagir, Manius plongea sa main dans la boîte, en sortit un des objets marron et le mit dans sa bouche.

- Manius ! cria la jeune fille. Recrache ça tout de suite !

Il ne l'écouta pas et avala. Aussitôt, il s'effondra. Horrifiée, Tullia laissa tomber la boîte et se précipita vers lui. Alors qu'elle s'agenouillait, il se redressa et éclata de rire. Elle le regarda, perplexe.

- Vous auriez vu vos têtes !

Il se calma et, avisant le regard furieux de Tullia, reprit plus calmement.

- Je vais bien, c'était juste une petite blague de rien du tout.

- Espèce d'idiot ! Ne refais plus jamais ça !

- Par contre, c'est vraiment pas bon, alors je pense que c'est mieux que je garde la boîte.

- Je suis sûr qu'il ment ! réagit Faustus.

Il se précipita sur la boîte, suivi par Tiberius et Opiter. Manius se releva, affolé.

- Ne mangez pas tout ! J'en ai eu qu'un moi !

Toujours agenouillée au sol, Tullia regardait les petits garçons se goinfrer d'un aliment inconnu en riant.

- Ils vont finir par me tuer, murmura-t-elle.

Au bout de quelques minutes, Manius la rejoignit, la boîte entre les mains.

- Tiens, on t'en a laissé un. ...Tu m'en veux plus de t'avoir fait peur ?

- Si tu veux que je te pardonne, il faut que tu arrêtes de faire des bêtises. Allez, rentrez chez vous maintenant.

Tiberius, Opiter et Manius obéirent immédiatement et s'éloignèrent.

- T'es une super grande sœur, lança Faustus avant de les rejoindre.

De nouveau seule, Tullia alla s'asseoir contre le mur de la ruelle. Elle regarda la boîte pendant un instant avant de manger ce qu'ils lui avaient laissé. Cela ne ressemblait en rien à ce qu'elle connaissait. La texture, d'abord ferme, presque dure, devenait rapidement pâteuse. Le goût avait la douceur du miel sans pour autant en être. Le résultat était étrange mais délicieux.

La jeune fille se demanda d'où venait la boîte. Elle prit conscience des pierres dans son dos et regarda le mur du temple contre lequel elle était appuyé. Était-ce un cadeau des dieux ? Elle observa plus attentivement la boîte, dans l'espoir d'y apercevoir une confirmation. Elle aperçut alors qu'un message était accroché sur un des côtés de la boîte. Il était écrit sur une sorte de parchemin, dans une langue qu'elle ne connaissait pas. Ce n'était ni du latin, ni du grec. Elle sortit un petit couteau d'un repli de sa toge et grava quelques mots sur le parchemin-qui-n'en-était-pas-un.

Elle reposa la boîte et le message au sol, contre le mur du temple et s'éloigna. Alors qu'elle quittait la ruelle, ils disparurent.

Lettres de cendreWhere stories live. Discover now