Chapitre 2

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Elio frissonna en s'engouffrant dans le bar dont il connaissait chaque recoin comme la paume de sa main, et pourtant ce soir il lui semblait complètement inconnu. La musique assourdissante, qui inondait l'espace, était entrelacée avec le bruit des conversations diverses, toutes marquées par un degré d'alcoolisation qui allait crescendo. Ce tumulte était le fond sonore habituel de ce lieu de rencontre nocturne. Les murs en pierres rouges, ces témoins silencieux de tant de soirées passées, abritaient divers tableaux à l'effigie de grandes stars de rock ou de métal. Ces icônes véhiculaient un esprit de rébellion et de liberté qui imprégnait l'atmosphère de l'établissement. Les banquettes et tabourets, revêtus d'un vieux cuir bordeaux, étaient comme un livre ouvert, racontant l'histoire de tous ceux qui les avaient occupés. Leurs rires et leurs pleurs, leurs moments de joie et de tristesse, semblaient avoir imprégné chaque fibre de ces sièges. Il plissa les yeux, comme agressé par les nombreuses stimulations sensorielles qui l'oppressaient déjà. Les nombreux néons éclairaient des visages inconnus, aux traits soulignés de noir et aux joues empourprées. Les effluves d'alcool, de tabac froid et de sueur moite le firent serrer les dents, regrettant presque l'air pollué des rues de sa capitale.
Il s'interrogea sur la raison de sa sortie presque forcée par la volonté de sortir de sa grotte. Pourtant, y a quelques mois de ça, Elio était un réel pilier de ce bar, faisant toujours en sorte de sortir avec des tenues minutieusement réfléchies, imprégnées de l'esprit rock et punk qui s'était quelque peu perdu avec les années. Cependant, ce soir-là, il n'avait pas réfléchi longtemps à sa garde-robe. Il avait simplement choisi d'enfiler un vieux t-shirt blanc, un jean décontracté, sans oublier son fidèle perfecto qui semblait avoir vu et vécu autant que lui. Pour compléter le tout, il portait des bottines noir de la célèbre marque britannique, des trésors qu'il avait déniché dans une vieille friperie. Ces cheveux qu'il avait coupés avec une certaine frénésie puis teints dans un noir profond durant une soirée bien trop alcoolisée, étaient en batailles, ornant sa tête de piques et épies divers.

Dans les profondeurs de ses pensées, alors qu'il envisageait déjà de faire demi-tour, une main chaleureuse mais sèche vint se poser sur l'une de ses épaules. Cet acte banal le ramena subitement à la réalité, le faisant légèrement sursauter. Une odeur distinctive de cuir chaud et corsé lui parvint, masquant pour une brève seconde le mélange complexe d'odeurs qui envahissait la salle. Lior aurait pu reconnaître parmi des centaines, peut-être même des milliers, un parfum qui évoquait en lui des souvenirs de jours meilleurs.

"Elio?"

Il se retourna pour faire face à la personne qui venait de le toucher, et il fut immédiatement accueilli par des bras frêles mais dissimulés sous un large perfecto. Il se laissa aller, enfouissant son visage pour un court instant dans le creux du cou de son interlocuteur. Il huma, cherchant à emplir son être de cette odeur apaisante en prévision de la soirée qui s'annonçait tumultueuse. Elio releva finalement la tête, affrontant enfin le regard de son meilleur ami qu'il avait si longtemps délaissé pour rester enfermé dans son petit appartement parisien.

"Lucas, ça fait longtemps," dit-il, la nostalgie teintant sa voix.

Elio avait été pris de court, presque incapable de reconnaître son meilleur ami. Celui qui avait toujours arboré une longue chevelure rebelle, avait maintenant un crâne presque chauve. Ses yeux, habituellement vierges de tout maquillage, étaient ce soir lourdement soulignés de khôl noir. Il avait l'air si différent, si radicalement transformé, qu'Elio ne pouvait s'empêcher de se demander quand cette métamorphose avait-elle eu lieu. Avant qu'il n'ait eu le temps de faire une quelconque remarque sur le changement d'apparence de son ami, ce dernier passa son bras sur ses épaules. Il affichait un grand sourire aux lèvres, qui malgré tous ce temps, était resté le même - authentique et chaleureux.

"Tu m'as manqué Putain, ça fait des mois qu'on attend ton retour, Elio. J'espère que tu as assez bossé pour payer la prochaine tournée !" plaisanta-t-il.

Elio leva les yeux au ciel, bien conscients que Lucas exagérait. Il savait que personne ne l'avait attendu à part lui. L'idée qu'il avait abandonné son seul et unique véritable ami sans même lui donner de nouvelles était presque insupportable mais il n'avait pas pu faire autrement. Quitter le confort de son cocon, de faire face à la foule et d'être parmi les gens provoquait en lui une profonde anxiété. Une sensation de panique l'envahissait, tel un tsunami balayant tout sur son passage. Son cœur se mettait à battre à un rythme effréné, ses mains devenaient moites et un sentiment d'étouffement l'envahissait. C'était comme si un poids énorme s'était soudainement posé sur sa poitrine, rendant chaque respiration laborieuse et pénible. Sa phobie sociale était si écrasante qu'il ne pouvait même plus accomplir des tâches basiques comme chercher son courrier ou faire ses courses. Chaque occasion qui le forçait à sortir de chez lui devenait une épreuve qu'il devait minutieusement préparer, afin de croiser le moins de monde possible et de minimiser les efforts de socialisation.

Durant cet enfermement, sa seule compagnie était ses pensées tourbillonnantes, un cyclone incessant de pensées sombres. Les journées, autrefois remplies de couleurs et de vie, se fondaient l'une dans l'autre dans un flou indistinct, chaque moment se ressemblant de manière frappante, comme si chaque seconde était une répétition monotone de la précédente. La solitude, une fois un ennemi redouté, était devenue son amie la plus proche, une présence constante qui remplissait chaque recoin de son existence. Mais il y avait Lucas, son ancien camarade, qui malgré la distance et le temps qui passait, ne l'avait jamais complètement abandonné. Lucas prenait de temps à autre des nouvelles, en envoyant un message hésitant ou en passant un court appel. Il avait toujours accepté le silence pesant d'Elio, qui parfois, submergé par tout ce poids mêlé à un vide indescriptible, ne trouvait pas la force ou les mots pour lui répondre.

Cependant, ce soir, il avait décidé d'essayer de surmonter ces idées noirs, de faire un effort afin d'affronter sa peur et s'exposer à l'extérieur. Il avait accepté l'invitation de son ami Lucas et s'était rendu à cette soirée d'anniversaire. C'était peut-être un petit pas pour certains, mais pour lui, c'était un grand pas en avant. Allait-il y arriver ? Allait-il réussir à rester auprès de cet ami qui ne l'avait jamais laissé tomber ?

"Tu m'as aussi beaucoup manqué, et surtout, le plus important, Joyeux anniversaire Lucas."

Un court instant, Elio cru percevoir une once de surprise dans le regard de son ami quand il prononça ses derniers mots. Puis, comme pour dissiper l'intensité de ce moment, un sourire éclatant illumina le visage de son interlocuteur. C'était un sourire de remerciement, qui semblait émaner du plus profond de son être. Les lèvres de Lucas commencèrent à s'entrouvrir, prêtes à formuler une réponse, mais elles furent coupées par une voix stridente. Une voix qui avait été impossible pour Elio d'oublier, une voix qui résonnait dans sa mémoire comme un écho lointain et profondément désagréable.

"Un revenant ! Voyez-vous ça, avec vos perfectos on dirait presque des frères."

Elio serra les dents un court instant, la pensée déconcertante de tomber sur son ex n'était, à l'origine, qu'un simple cauchemar qui hantait ses nuits. Pourtant, cet effroyable scénario était en train de se réaliser ici même, dans cet endroit auquel il n'associait que des souvenirs mélancoliques. La jeune femme avait une longue chevelure flamboyante, était faussement coiffée, donnant une impression de négligence étudiée. Elle était vêtue de vêtements lâches, un mélange surprenant mais harmonieux de dentelle délicate et de coton épais, dans des tons ternes qui contrastaient avec la vivacité de ses cheveux. Elle portait toujours avec autant d'élégance des vêtements qui auraient très bien pu appartenir à son arrière-grand-mère. Hélène avait toujours eu ce goût aiguë pour le vintage, une passion qui s'exprimait dans ses choix vestimentaires. Ses tenues, bien que démodées, lui donnaient un charme unique et inimitable, une élégance naturelle qui la distinguait du reste du monde. C'était sûrement ça qui avait charmé Elio à l'époque.

Il pu sentir un poids léger sur ses épaules, c'était un signe tacite de son excuse pour cette rencontre impromptue. Il ignora délibérément la remarque de la jeune femme, comme s'il essayait de minimiser sa présence, de l'effacer de la scène par crainte que son ami ne prenne peur et ne s'enfuie.

"Elio ! Tu te rappelles bien sûr d'Hélène, donc inutile de faire les présentations. Cependant, il y a une autre personne que je voudrais te présenter. Un nouvel arrivant tout droit venu du sud, qui semble être un vagabond. Il a eu la gentillesse de nous offrir la première tournée de boissons, un geste généreux qui a piqué notre curiosité. Je suis convaincu qu'il va te plaire, il est absolument passionnant."

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 17 ⏰

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