35. Un professeur investi

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Mélodie pleura plusieurs jours d'affilée. Elle n'osait plus sortir de sa chambre. Madison lui apportait de quoi grignoter. Mais tout faisait horreur à l'adolescente : elle dut se forcer à avaler quelques bouchées. Elle ne se rendait aux toilettes collectives que sous la protection de son amie.

À deux reprises, des affaires leur furent volées pendant leur absence. On s'était amusé à déchirer leurs livres, à cracher dedans, à taguer le papier peint (BUNCH OF BIG SLUTS), à casser leurs objets précieux. Madison relativisa :

— Nous sommes du bon côté, c'est tout ce qui importe. Mais ils s'en sortiront pas à si bon compte !

Elle fit appel à Félix : il consentit à rameuter quelques potes pour organiser des rondes à proximité de la chambre. Une équipe de volontaires, des potes à Félix là encore, refit le papier peint en quelques heures. Madison avait pris soin de photographier l'inscription et elle demanda un rendez-vous auprès de la présidente Mrs Richardson pour lui montrer l'ampleur qu'avait pris le harcèlement dont elles faisaient l'objet. Celle-ci la reçut très brièvement et lui assura qu'elle interviendrait si cette facétie (ce fut le terme qu'elle employa) se reproduisait.

Dans la plus grande discrétion, Amy leur procura les livres qui avaient été endommagés. Elle était en lien avec d'anciens volleyeurs de Summer ; ils avaient consenti à les lui envoyer sans contrepartie et lui avaient assuré qu'ils n'en avaient plus besoin.

D'un tempérament de battante, Madison ne s'arrêta pas là : elle se fit prêter une mini-caméra par l'intermédiaire d'Ernest qui, tout honteux d'avoir rompu avec elle, était disposé à se mettre en quatre pour atténuer la douleur de la séparation.

Ces dispositions ne leur permirent pas d'identifier le coupable (les actes de vandalisme cessèrent comme par magie). Mais au moins, elles eurent la paix et pouvaient quitter la chambre sans prendre le risque de la retrouver sens dessus dessous.

Mélodie parvint peu à peu à se ressaisir. Au lieu de se traîner en jogging, elle recommença à s'habiller. Escortée par Madison, Félix ou l'un des potes de Félix, elle opéra quelques timides incursions dans le parc, retrouva de temps à autre le sourire. D'autant plus que l'un des potes en question, un dénommé Nolan, semblait avoir un crush pour elle et cherchait de moins en moins à le dissimuler.

Mais Mélodie ne songeait pas à compter fleurette. Incapable de se concentrer sur ses études, elle tournait en rond en quête d'une solution.

— Puisque Richardson s'en fout, j'ai pris rendez-vous avec Martinez, lui dit Madison au bout de quelques jours. C'est le prof le mieux à même de comprendre la situation. On va tout lui expliquer.

Mélodie approuva : c'était une riche idée. Martinez lui avait déjà sauvé la mise, c'était un homme sur qui on pouvait compter.

Il les reçut une fin d'après-midi, dans sa salle. Après les avoir fait asseoir aux pupitres qui se trouvaient devant son bureau :

— Que puis-je pour vous ? demanda-t-il, l'air préoccupé.

La veste élimée, les cheveux en bataille, la cravate mal serrée et la barbe de trois jours ne plaidaient pas en sa faveur. Mais dès qu'il prenait la parole, il faisait oublier le caractère négligé de son allure. Il s'exprimait avec précision, limpidité, élégance.

— Mélodie se fait harceler, dit Madison.

— Pardon ?

— Mon amie est victime de harcèlement. Elle en perd le sommeil, elle n'arrive plus à étudier, elle pleure tout le temps.

Martinez fronça les sourcils.

— C'est une accusation extrêmement grave. Puis-je savoir quels sont les faits ?

Mélodie se mit à trembler, des larmes giclèrent sur ses joues.

— Menaces, répondit Madison. Objets personnels subtilisés. Livres déchirés. Crachats, insultes, pantalon baissé. Tag injurieux dans notre chambre. Tentative de viol...

— J'ai pas subi de tentative de viol, protesta Mélodie.

— Pour moi, c'en est une.

— Il faudrait que vous vous mettiez d'accord, dit Martinez. Quoi d'autre ?

— Parce que ça vous suffit pas ? Je vous rappelle que c'est sous votre surveillance qu'un examen a eu lieu où mon amie s'est fait dérober sa copie alors qu'elle s'apprêtait à vous la remettre.

— Je m'en souviens, je suis désolé de ne pas avoir pris en flagrant délit la fauteuse de trouble et je crois me rappeler, Mélodie, que je vous ai donné une occasion de vous rattraper.

Il se gratta la tête et ajouta :

— Tout cela est très grave, je ne vais pas chercher à minimiser. Je vous avoue que je ne me suis aperçu de rien. Je m'en veux terriblement. Vous avez eu raison de venir me voir, nous allons intervenir dans les plus brefs délais. Il me faut les noms.

— Gaylord s'est débraguetté et rebraguetté devant elle. Mais ce sont surtout Bianca et Cynthia qui sont à la manœuvre. Pour rappel, Cynthia lui a donné une gifle à lui déboîter les vertèbres cervicales. À l'époque, j'étais allée voir directement la Présidente pour lui signaler les faits. Cynthia a été convoquée. J'ignore ce qu'elle a baragouiné à Mrs Richardson, mais y a pas eu de sanction. Je lui ai également montré le tag.

Elle glissa sur le bureau une reproduction de l'inscription injurieuse.

« Là encore, aucune enquête, aucune sanction.

— Peut-être n'avez-vous pas été crue ? dit Martinez mais il parvenait difficilement à dissimuler la gêne dans laquelle ces révélations le plongeaient. Je vais appeler la Présidente. On va faire le ménage, je vous en donne ma parole. Le harcèlement est totalement contraire aux valeurs que nous défendons dans cette école.

— Heureuse de vous entendre le déclarer, dit Madison. Nous commencions à en douter.

Cette nuit-là, Mélodie parvint à dormir huit heures de suite. Au réveil, elle était resplendissante...

— Ma toute belle, lui dit Madison, c'est le début de la fin.

— Tu crois qu'ils vont virer Cynthia et Bianca ?

— Je pense qu'elles vont écoper d'une exclusion temporaire. Ça devrait les calmer.

— Jamais ça ne s'arrêtera.

— Bien sûr que si ! Regarde par la fenêtre !

Un petit groupe d'étudiants venait de se former à l'entrée du dortoir. Mélodie reconnut Amy et quelques filles qui s'étaient toujours abstenues de hurler avec les loups. Ainsi qu'un noyau dur de garçons où elle reconnut Félix et Gaylord qui affichait une mine toute piteuse. Ainsi, bien sûr, que Nolan qui tenait un bouquet de fleurs à la main.

« C'est grâce à Félix et Amy, dit Madison. Le groupe des volleyeurs est désormais de notre côté, mais aussi tous les potes de Félix et l'entourage de Nolan.

Émue aux larmes, Mélodie courut à leur rencontre :

— Merci d'exprimer votre soutien, leur dit-elle. Cela me fait chaud au cœur, vous n'imaginez pas à quel point.

Elle s'empara du bouquet de fleurs et embrassa Nolan sur la joue.

— Tout cela n'a que trop duré, lui assura Amy. Désormais, tu n'es plus seule.


BUNCH OF BIG SLUTS signifie « Bande de grosses salopes ». En français dont l'orthographe est plus compliquée, sans doute auraient-elles eu droit à quelque chose comme BANDE DE GROSSE SALOPPE.

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