Chapitre 7 (2/3)

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     La solitude rendait la situation encore plus difficile à vivre. Naxim, toujours allongé, là, à plat ventre dans l'herbe du haut-plateau, en bordure du Grand Mur, était désormais seul. La vie des Clans ne l'avait pas habitué à cela. Il ne savait que faire.

     Descendre, rejoindre les autres et chasser ces créatures ?

     C'était sans espoir, perdu d'avance. Il en avait parfaitement conscience.

     Je pourrais tenter de prévenir Ristark... Me montrer pour détourner l'attention de ces monstres.

     Il se sentait futile, inutile. Au sein du Clan, on connaissait à chaque instant ce que l'on devait faire, et pourquoi on le faisait. Un chef, un magister, une nourrice, un Frère : il y avait toujours quelqu'un pour vous soutenir, vous aider, vous guider.

     Je pourrais faire un long détour pour regagner les Grottes... Mais qu'y trouverais-je alors ?

     Fuir loin du danger ?

     Ce serait faire preuve de lâcheté...

     Son esprit bouillonnait, l'empêchant de raisonner, de décider ce qui était bien et ce qui était dangereux, de distinguer ce qui était prudent de ce qui était stupide. Il demeurait là, tétanisé, paralysé par l'incompréhension, par l'inconnu. Une douleur commençait à sourdre derrière son front. Il ferma les yeux, pressa ses tempes de ses deux mains et enfouit son visage dans la terre.

     Au milieu de ce maelström d'interrogations qui tourbillonnait dans sa tête, une image du passé refaisait régulièrement surface. Pour dire vrai, ce vestige mémoriel ne l'avait jamais quitté, mais l'insouciance et les préoccupations de la vie quotidienne l'occultaient aisément. Depuis la mi-jour, avec la fugace apparition céleste, sa mémoire se faisait cependant plus insistante, plus nette, lui rappelait qu'il avait déjà vu, dans d'autres circonstances, un objet étrange et mystérieux.

     Une nuit, alors qu'il fêtait la fin de la quinzième Froidure de sa vie, il avait transgressé plusieurs Périls en s'approchant, avec d'autres, de la Terre Sauvage. Lui avait fini évanoui, assommé dans sa chute, et s'était réveillé le lendemain matin dans l'alcôve de son frère. Aucun de ceux présent ce soir-là n'avait plus jamais évoqué ce détail par la suite, peut-être par peur des réprimandes du magister, peut-être aussi avaient-ils fini par oublier.

     Aujourd'hui, Naxim se souvenait et se demandait malgré lui si les deux événements étaient vraiment distincts. Il regrettait de ne pas avoir de sages conseils avisés pour lui dire ce qu'il devait faire à cet instant précis.

     Le jeune homme sursauta. Une voix inconnue et puissante se fit soudainement entendre.

     — Humains !

     Ce n'était pas un cri, ni un grognement ou un feulement, mais bien une voix, sans timbre, curieusement assez claire pour monter jusqu'ici malgré la distance et le bruit de la cascade. Un seul mot avait été prononcé, qu'il ne comprit pas. Le garçon rampa, poussa jusqu'au bord avant de se redresser sur les coudes, surplombant ainsi un paysage irréel et confus. C'était l'homme qui parlait, celui qui leur ressemblait mais qui marchait parmi les Bêtes.

     Une poignée de jeunes Frères du clan de la Pierre se tenaient debout, immobiles, devant les monstres. Naxim reconnut le jeune Wiggi.

     Des cueilleurs en vadrouille sont venus jusqu'ici, attirés comme nous par la coque volante. Les malheureux ignorent à quoi ils ont à faire.

     Le groupe de chasseurs menés par Ristark était également présent. Ils avaient émergé des fougères et attendaient, pioches brandies, gourdins en mains, fixant des yeux les créatures les plus proches. La voix de l'homme étrange avait figé les événements.

     — Humains ! répéta celui-ci. Je me nomme Sol-TorGaTé. Je suis un humain, tout comme vous. Je suis au service du Grand Kerg, le puissant Korgol, et ce depuis sa conquête du monde inférieur dans lequel je me trouvais, monde depuis lors soumis à l'autorité korgole.

     À ces mots, il se tourna vers le colosse bleu et s'inclina, puis il reprit à l'adresse des Frères qui se trouvaient là :

     — Cette planète isolée non revendiquée appartient désormais au puissant Kerg qui l'honore ici de sa présence. Elle fait à présent partie intégrante de l'Espace Korgol. Les humains non domestiqués y sont par conséquent interdits. Vous allez donc monter à bord de ce transport spatial afin d'être nettoyés, soignés et identifiés, puis vous rejoindrez l'élevage d'humains le plus proche : celui du système de Varshilia.

     Naxim entendait bien la voix de l'homme, et comprenait même certains mots, mais l'ensemble restait confus, incohérent. Trop de termes lui étaient inconnus.

     Que signifie ce mot, "um-in", qui revient régulièrement dans ses paroles ?

     L'incompréhension devait être générale puisque aucun des Frères présents n'esquissa le moindre geste. Par habitude, ils cherchaient parmi eux un magister, ou un chef de Clan, mais c'est Ristark qu'ils finirent par interroger du regard. Celui-ci ne sembla pas non plus savoir ce qu'il convenait de répondre.

     — HUMAINS MORTS ! cria soudainement le colosse bleu.

     L'ensemble de l'auditoire avait tressailli. Sa voix gutturale, rauque, grave et très puissante aurait fait trembler n'importe lequel d'entre eux. Même les monstres qui l'accompagnaient ne semblaient pas habitués à l'entendre : certains, surtout chez les poilus, avaient rentré la tête dans les épaules.

     — SOLARIA MORT ! continuait-il. HUMAINS... KORGOL !

     Il ferma son immense poing qu'il abattit sur sa propre poitrine. Le bruit mat évoquait deux cailloux s'entrechoquant.

     — HUMAINS... KERG !

     Les mots écorchaient les oreilles. L'homme étrange acquiesça et s'exprima à nouveau, de sa voix toujours aussi neutre qui ne laissait transparaître aucune émotion.

     — Le puissant Kerg rappelle que Solaria, le système d'origine des humains, n'existe plus. Tous les Solariens sont morts, tous les humains ont été vaincus. Cette planète...

     Il s'interrompit un instant, cherchant ses mots.

     — Votre monde actuel, reprit-il en balayant l'air autour de lui d'un ample geste des bras, ne peut donc appartenir aux humains. Il appartient aux Korgols, et plus précisément au puissant Kerg. Il en est de même pour tous les humains qui s'y trouvent.

     Il jeta un regard circulaire sur la foule qui ne bougeait toujours pas. L'énorme monstre bleu à la peau d'écaille pierreuse commençait à montrer des signes d'impatience. Les insectes aussi s'agitaient sur leurs grandes pattes.

     — Vous comprenez ? demanda l'homme en désignant l'abri de métal gris-fumée derrière lui. Vous devez entrer dedans. Les Varshilians — il montra l'une des créatures poilues — et les Databis — un grand insecte noir — sont là pour que tout se passe bien.

     Une nouvelle fois, il n'y eut pas de réponse.

     — Vous parlez bien humain, n'est-ce pas ? Me comprenez-vous ? Je suis Sol-TorGaTé, un humain comme vous, et, comme moi...

     Il pointa du doigt les Frères devant lui, les engloba dans un mouvement circulaire.

     — Vous tous, vous appartenez désormais aux Korgols.

Le Réveil de Gaïa [HyperNova Editions]Where stories live. Discover now