Le poète moderne

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Malgré ses airs endimanchés et bien qu'il soit né un vendredi, Sieur Bourseville fut touché dès sa naissance par le don précieux de la mélomanie.

Entre musique de chambre et noir métal mélodique, il avait tout dernièrement jeté son dévolu sur ce langage populaire dont les lettres de noblesse prirent forme aux alentours des années nonante moins-dix et exprimé au travers des mélodies boume mbapp (aucun lien de parenté avec le pratiquant du célèbre « balle-au-pied ».)

Ses premières épiphanies en lien avec ce ton lyrique engagé, hélas, souvent taché de plasma et d'hémoglobine furent et demeurent toujours, au nom des intellectuels dérangeants et dont, la profondeur était souvent incomprise et vivement critiquée,

Ainsi, Médecin Dré, Snoop chien, Petit Grand, Cube de Glace, sans oublier le tristement célèbre Deux packs, furent les premiers colons de cet héritage culturel dont le genre, s'est maintenant développé pour atteindre des formes diverses et variées.

C'est avec fascination et qu'il se laissa séduire par ce style, témoignage de ceux dont la parole n'était pas toujours entendue, synonyme d'une révolte civile et artistique. Il remarqua alors que ce nouveau style lyrique, approché dans sa langue maternelle, lui permettait d'approcher un tout nouveau lexique qui le ravissait et l'émerveillait.

Ainsi, un officier assermenté des forces de l'ordre faisait maintenant partie de la fameuse brigade des « schatars », les tubes de tabac parfumés et qui arboraient les alentours étaient composés avec du teux-shi (probablement une variante de cet art chinois), sans parler des techniques d'autotunning qui, il le constata assez rapidement, n'avaient aucun rapport avec le monde automobile.

Lorsqu'il parlait de ce ravissement auditif avec son condisciple, Jean Kühl, dit « le neurasthénique », celui-ci comme à son habitude, dédaignait ce qu'il qualifiait de nuisance auditive, faute de bon goût.

Il faut dire que Jean Kühl, l'élucubrateur aux origines teutonnes, austère à une quelconque forme de changement. La stabilité l'exécrait également au plus haut point, rigide face à la didactique qui pouvait à tout moment, mettre à mal son jugement. Il était définitivement aux antipodes de notre protagoniste.

C'est à l'occasion d'une discussion, lorsque J.K. s'aperçut du tintamarre qui se jouait en arrière-plan

— « Qu'est donc que ce vacarme assourdissant ?

— Il s'agit de la dernière Sonate de ce musicien passionné issu de Kinshasa dont je vous ai fait part la semaine dernière

— Que diantre, Bourseville, passez-nous de la vraie musique

— Quelle étroitesse dont vous faites toujours part ! Bon... vous me savez conciliant, qu'est-ce qui vous plairait ? Un peu de Wolfang ou de Ba ?

— Épargnez-moi vos sottises

— Mais pourtant, vous défendiez encore corps et âme, et ce, pas plus tard que la semaine dernière, ces monuments de la musique baroque et galante

— Et bien, c'est de la merde

— Je regrette que vous soyez constamment victime de votre vulgarité. Ne songeriez-vous pas à faire évoluer votre sobriquet vers "le déplaisant" ?

— Je vous méprise, Bourseville

— C'est que je n'ai point touché à vos contacteurs électriques !

— Ne commencez pas à m'embrouiller avec vos jeux de mots stupides

— Moi aussi, je vous apprécie, mon cher ami. »

Dit-il, clôturant ainsi le débat interminable qui se profilait devant lui sur une note positive et témoignant de la grande richesse de l'esprit, celui de contrer l'étriquement et de l'enfermement, celui d'accepter ce qui se trouvait sur sa route, au risque de dénoter avec l'image de sa propre personne.

Folies Passagères - Entre Inintérêt et mise en formeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant