Chapitre 9 | Le baiser

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Ce matin-là, la manufacture tournait à plein régime. Winston était passé dans les allées des chaînes de production quelques heures plus tôt, gratifiant les ouvriers de son éternel sourire doux et de quelques bonjours auxquels ils avaient répondu.

Depuis quelques temps, les passages de Winston à l'AOC étaient de plus en plus remarqués. Et appréciés. Si Henry Ascott était un homme charismatique et froid, il émanait de Winston cette chaleur humaine que les ouvriers appréciaient. Ce n'était pas grand chose mais un sourire, un bonjour ou quelque discussion banale sur le quai de la Tyne leur faisait plaisir. Avec ses visites répétées et sa gentillesse, Winston avait d'ores et déjà fait l'unanimité auprès de ses futurs employés.

— Qu'avez-vous prévu pour le déjeuner ?

Désormais, Winston était installé dans le bureau de son père et épluchait les derniers relevés de compte. Tout lui semblait en ordre, alors il referma le dossier et se leva afin de le ranger sur une étagère prévue à cet effet. Il répondit alors :

— J'ai invité Hazel à déjeuner en ville.

Et ce programme ne l'enchantait pas. Dieu savait qu'il aurait aimé être partout, sauf avec elle. Il en avait assez de jouer la comédie ; à l'AOC, avec Hazel, devant ses parents. Cela l'épuisait. Mais avait-il vraiment le choix ?

— Oh, c'est très bien. Il serait temps de passer à l'étape supérieure, ne croyez-vous pas ?

Dans les poches de sa veste, qu'il venait d'enfiler, Winston serra les poings. Il était lassé de n'avoir aucune intimité à ce sujet. Comme si Hazel racontait chacune de leur sortie à ses parents et que les Embry se faisaient un plaisir d'en faire rapport aux Ascott – c'était le cas. Winston comprit donc le sous-entendu dqns les mots de son père, ce qui finit définitivement de lui couper l'appétit. Passer à l'étape supérieure ? Y penser lui donnait la nausée. Poser ses lèvres sur celles de cette femme le rebutait.

— Oui, vous avez raison.

L'heure du déjeuner approchait, alors il n' ajouta rien et se prépara à partir. Sous le regard inquisiteur de son père, qui avait subitement senti l'atmosphère changer dans son bureau, Winston récupéra sa sacoche et quitta la pièce. Gentil, il souhaita une bonne journée aux ouvriers qu'il croisa sur le chemin de la sortie et tomba, sur le quai, nez à nez avec Robert. Ce dernier fumait une cigarette, appuyé contre l'automobile.

— Nous allons chez mademoiselle Embry ?

Robert se réinstalla au volant et, grace au rétroviseur intérieur, avisa Winston qui hochait positivement la tête. C'est en silence, tandis que le jeune Ascott observait d'un air pensif les bâtiments défiler sous ses yeux, qu'ils prirent ensemble la route de la maison Embry.

*   *   *

La nuit n'allait pas tarder à tomber. Le soleil s'était caché derrière les hauts peupliers du domaine et la température plutôt clémente de l'après-midi avait laissé sa place à la fraîcheur caractéristique des nuits d'hiver. Lorsque Jude entra dans l'écurie, un volute de vapeur s'échappait de sa bouche. Blotti dans un vieux manteau dont le tissu grattait, il se dirigea droit vers le box d'Hickstead.

Deux jours s'étaient écoulés depuis la veillée et, si l'étalon semblait avoir pleinement récupéré, Jude ne pouvait s'empêcher de le surveiller. Malgré sa charge de travail, il avait passé ces deux derniers jours à faire des allées-et-venues à l'écurie, afin de vérifier si la fièvre ne revenait pas et si, de manière générale, il ne souffrait pas.

Ce soir-là, et à sa grande surprise au vu de l'heure assez tardive, Jude tomba sur Winston. Et son coeur se serra. Le jeune Ascott était dans le box de son cheval, en tenue de ville. La tête de l'étalon reposait sur son épaule et le jeune homme avait enfoui son visage dans sa crinière. Ses mains fines, que Jude savait habiles sur le clavier d'un piano, étaient posées sur les épaules de son cheval. Il pleurait.

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⏰ Last updated: May 20 ⏰

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