Chapitre 5

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Matt

Qu'est-ce je fiche ici ?

Sur le plan du boulot, ma semaine a été impeccable. Pourtant, je suis d'une humeur exécrable. Odieux. Ce matin, j'ai même cru un instant que Barbara et Debra allaient me flanquer leur démission à la figure. Après la façon que cette fille a eu de me regarder de ce regard sérieux, intense, magnifique, son souvenir occupe un peu trop mon périmètre mental.

Personne ne m'avait regardé ainsi. Lorsque j'étais haut comme trois pommes, mon père m'interdisait de fixer son visage, prétendant que c'était arrogance de vouloir attirer l'attention sur moi et que j'allais nuire à sa réputation en le faisant devant ses amis. Ça m'était égal.J'étais mieux seul dans ma chambre. Ça m'est resté. Depuis, je suis habitué à ce qu'on ne me regarde jamais dans les yeux.

Mais elle, elle n'a pas détourné son regard et il n'y avait aucune arrogance ou tentative de me manipuler dans sa façon de me regarder. Juste de la curiosité. Dès lors, elle surgit n'importe quand dans mes pensées : pendant que je bosse, quand je m'entraîne avec Verdi, ou pire encore, à 2 heures du mat' alors qu'il y a une autre nana avec qui je fais l'affaire. Jusqu'ici j'ai toujours pensé qu'on baisait parce qu'on en avait envie, pas parce qu'on n'avait pas le choix.

Débrouille-toi avec ça, Matt.

À dix-neuf heures tapantes, je tourne dans sa rue au volant de mon bolide et je l'aperçois en train de faire les cent pas devant l'entrée de sa résidence. Elle devrait me sembler pâle et frêle, ce qu'elle est, mais elle dégage quelque chose qui me dit, qu'en vrai, elle ne l'est pas. Merde alors, ses cheveux lâchés dans son dos me donnent l'impression de flotter, de quitter terre.

C'est juste un moment d'égarement.

Pour le reste, rien à voir. Pas de short, ni de chignon fait à la hâte, mais une robe grise très légère mettant en valeur sa peau d'anglaise, dont la longueur au genou contraste étrangement avec son sac en tissu bariolé façon hippie sur l'épaule. Un sac hippie pour aller à l'Opéra ? Où elle a vu ça ? Autre touche rebelle, elle a enroulé un bandana autour de son poignet. J'ai envie de rire.

Je m'arrête à sa hauteur.

- Montez.

Je la laisse s'installer dans le siège baquet et j'en profite pour admirer son profil délicat. Pas qu'elle sorte de l'ordinaire par sa beauté, elle est à la fois naturelle et sophistiquée ce qui est assez rare pour être souligné. Mais ce regard vif, c'est celui d'une aventurière.

- Alors, vous êtes venue ?

- Belle bagnole ! se contente-t-elle de répondre. C'est quoi ?

Elle s'est exprimée en anglais par déférence en séparant les mots mais pas trop, j'apprécie. Mais je n'en reviens toujours pas qu'elle soit là. Avec un mec comme moi.

- Une Aston Martin One-77. Il n'en existe que 77 exemplaires au monde. D'où son nom. Le design est agressif mais le moteur est bon. Cosworth bien sûr. Attachez-vous, je vous prie.

Au lieu de m'écouter, elle a du mal à trouver le point d'ancrage. Je suis à deux doigts de le faire pour elle et je me rends compte que c'est ce même élan qui m'a poussé à l'embrasser dans les toilettes, parce que l'idée de la toucher me rend fou. Allez quoi, on y va ?

- Prenez votre temps, dis-je en faisant un effort.

Je sais que je suis un maniaque de la montre mais quand même.

- Où allons-nous ? s'inquiète-t-elle un peu plus tard en nous voyant sortir de la ville.

- Je vous emmène dîner. Rassurez-vous, dans un restaurant, pas dans ma chambre, crois-je bien de préciser.

Effet de VagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant