Chapitre 2 : Jack

66.1K 3.6K 195
                                    

Clac.

Alfredo ouvre la portière de la voiture et un vent frais rentre aussitôt dans l'habitacle. Je passe ma main dans mes cheveux, agacé par la réunion barbante qui m'attend.

-Vous voulez faire demi-tour ? vérifie Alfredo, mon chauffeur. 

-Non. Je dois y aller. 

Je remets correctement ma cravate et lève le regard. Un immeuble en verre se dresse sous mes yeux. Le soleil reflète les quelques employés travaillant d'arrache-pied pour mon entreprise. 

-Tu peux venir me chercher à l'heure habituelle, j'apprends à Alfredo. Je sors avec des amis ce soir. 

-Bien monsieur. 

Mon vieil ami me quitte après mon ordre et me laisse seul. Sans crainte, je m'avance avec confiance vers le bâtiment. Quelques collaborateurs me dévisagent avec appréhension, d'autres avec envie. Je les salue froidement, pressé d'en finir avec cette journée. J'ai un programme bien plus intéressant dans la soirée qui m'attend : écumer les bars avec mes amis de fac, comme au bon vieux temps. 

Un sourire d'envie naît sur mes lèvres mais s'évapore aussitôt lorsque je vois Nick m'attendre à l'entrée du bâtiment. 

-Jack! s'exclame-t-il en me flanquant une accolade dans le dos. 

-Nick. 

Ma froideur ne semble pas offusquer mon associé puisqu'il se met à sourire de ses dents refaites.

-Il est l'heure de rencontrer les actionnaires. Tu n'as pas le tract ? 

-Pourquoi j'aurais le tract ? 

-Tu reprends les rênes, s'amuse-t-il en passant sa main dans sa moumoute. Tu es un petit nouveau dans le milieu. 

-J'ai de l'expérience. Je n'ai pas peur. 

Son sourire ne disparait pas de ses joues rosies. Il se moque de moi, il ne me prend pas au sérieux. 

-Je n'ai pas le temps de parler, dis-je froidement. 

Nous nous engouffrons dans l'ascenseur. De longues secondes de silence nous entourent. Pour Nick, c'est un supplice de ne pas parler. Pour moi, il s'agit d'une bénédiction. 

-Ils vont t'adorer, craque-t-il. Ils ne mordent pas ! Je leur ai donné de quoi manger juste avant... 

-Nick, je ne suis pas venu ici pour écouter tes blagues de mauvais goût. Je suis venu ici pour me présenter et pour faire comprendre à nos actionnaires que Jack Lewis n'est pas un clown. 

-Tu n'es pas un clown, me répond-il. Tu es un requin, comme ton père ! 

Sa remarque me fait grincer des dents. Je déteste quand il évoque mon père.

Depuis enfant, Nick Milton m'a toujours agacé. Il faisait parti de mon paysage. Il était le meilleur ami de mon père malgré leur différence. Opposés mais inséparables. Nick est grossier, provocateur, menteur et Isaac, mon père, était professionnel, déterminé et franc.
Ensemble, ils ont monté l'entreprise "Lewis & Milton", une société multinationale spécialisée dans les logiciels informatique. Nick était l'image et Isaac le cerveau. Nick apportait les contacts grâce à son réseau de milliardaire, Isaac imaginait toutes les idées. C'est lui le véritable fondateur de cette entreprise.
J'ai grandi seul car mon père travaillait jour et nuit. Je le regardais secrètement, je l'admirais longuement sans vraiment le connaître. Il était l'exemple même de la réussite à mes yeux, il l'est toujours. Même après sa mort, j'envie son travail. Il est malheureusement décédé il y a quelques mois et m'a légué l'entreprise. Comme lui, je suis devenu un homme d'affaires redoutable. 

C'est donc un plaisir de reprendre l'entreprise sauf pour travailler avec Nick. Un vieillard riche et puissant qui n'hésite pas à rappeler son statut de millionnaire. Il ne fait plus grand chose dans l'entreprise à part me passer des coups de téléphone une dizaine de fois dans la journée. Il s'ennuie depuis le décès de son meilleur ami. Il cherche du réconfort auprès de son fils mais sa peine ne m'atteint pas. Ni celles des autres.

-On se prévoit un déjeuner après la réunion ? me demande-t-il avant de rentrer dans la salle de réunion. Lisa sera là. 

-J'ai des projets. 

C'est une excuse bidon pour ne pas subir ce repas. Nick cherche lourdement à me refourguer sa fille unique. Lisa est une très belle femme mais son caractère superficiel et capricieux m'insupporte. Je suis un homme autoritaire qui ne cherche pas d'une fille à papa comme fiancée. Nous ne serons pas heureux ensemble. 

-Bonjour à tous, dis-je d'une voix confiante en entrant dans la salle. 

Je serre la main à mes collaborateurs sans retenir leurs noms. Deux femmes. Quatre hommes. 

-Merci à tous d'être venu. Nous allons pouvoir commencer la réunion. 

Nous nous installons et j'observe mes associés. Trois d'entre eux sont anxieux et gigotent nerveusement. Une me fait du charme en me mettant bien en vue son décolleté. Deux autres paraissent sereins et confiants. Mon attention se porte alors sur eux, je leur fais confiance. Les autres seront remplacés bien assez vite. Je veux une équipe combattante et dominatrice. Ce n'est pas avec trois petites souries et une gazelle que les affaires vont marcher. Je préfère les prédateurs.

Assis sur la chaise au bout de la table en verre, j'écoute avec attention les paroles de mes collaborateurs. Ils me regardent avec intensité et m'adressent un sourire dès que je croise leurs regards. Ils m'obéissent au doigt et à l'œil.

Nick prend ensuite en main la deuxième partie de la réunion pour évoquer les soirées d'entreprise. Je n'écoute que d'une oreille, plus intéressé par les chiffres que par la fête. Sauf si cela concerne mes amis. Il me tarde de les retrouver, de rire, de séduire. Malgré ma confiance apparente, cela fait bien longtemps que je n'ai pas passé une soirée fiévreuse avec une jolie femme. Mon esprit est trop pris dans mon travail, laissant peu de place aux aléas de mon cœur. 

Perdu dans mes pensées, je n'entends pas la question de Nick. Celui-ci me tapote le bras avec un crayon. 

-Alors? C'est d'accord? vérifie-t-il.

Je le regarde, des cernes tombent sous ses yeux et il a remis sa perruque en place. Je fais mine de réfléchir quelques instants puis, sans réfléchir, j'accepte en hochant la tête.

-Très bien fils! s'enthousiasme-t-il. Rendez-vous à la fin du mois dans ma maison secondaire ! Je vais inviter nos actionnaires et quelques-uns de nos meilleurs employés. J'espère que tu pourras faire plus ample connaissance avec ma fille. 

Son clin d'œil malicieux me fait grimacer. Il se rapproche plus de moi et son souffle gras frôle mon oreille lorsqu'il me dit:

-Si tu vois ce que je veux dire...

Je frémis d'horreur, il faut que je trouve quelqu'un pour m'accompagner.
Je n'ai pas le choix. 

Mais qui?

Un jeu de tropWhere stories live. Discover now