L'égérie

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Je suis, devenu celui dont t'aurais rêvé, celui que je rêvais d'être

Tu me suis, je ne veux pas me réveiller...

    Angélica, non plus, ne voulait pas se réveiller. Elle luttait pour rester piégée dans son sommeil, enfermée à jamais. Jamais la volonté de se transformer en la Belle au Bois dormant, cette pute qui a réussi à rester jeune et à ne rien foutre pendant des piges, n'avait été si forte. Elle était à deux doigts de se mettre à prier - un comble pour quelqu'un qui ne croit plus en rien. Mais c'était trop tard. Elle avait dormi d'un sommeil de plomb pendant quoi, treize heures d'affilée, peut-être. Si sa mère la voyait, elle tournerait en boucle sur le sujet et la ferait chier, direct. Pour l'emmerder, elle était bonne. Depuis son enfance, elle lui bourre le crâne qu'il est totalement inconscient de dormir plus de neuf heures par nuit. Parce qu'après, on devient obèse. Elle l'avait lu un jour dans un numéro de Elle, appuyé par l'avis d'un spécialiste pourri, un soi-disant diététicien aux cheveux grisonnants, photographié dans sa salle de consultation du 8ème, qui tentait de se la jouer vieux-beau. Il était surtout pathétique.

    Elle n'en n'avait rien à foutre de devenir obèse, pour le coup. Elle descendait de sa soirée de la veille. La coke, le speed et la bière, au réveil, ça ne fait pas bon ménage. Elle le savait, pourtant, quand elle avait décidé de s'en mettre plein la gueule. C'est dur de résister quand tu es faible. Résignée.

    Elle se força à aller prendre une douche. Elle aurait aimé rester crasseuse toute la journée, toute la semaine même, s'il le fallait. Mais là aussi, elle était piégée. Elle devait taffer, juste pour pouvoir poursuivre son train de vie ahurissant. Puis comme ça, elle continuerait à sortir, rencontrer du monde. Elle se bourrerait la tronche, voir autre chose en même temps. Elle adorait tellement ça, faut dire. Elle ne savait plus si elle y avait eu droit, pendant la fameuse soirée. Elle en était déçue, d'ailleurs. On l'avait fait miroiter pendant des semaines sur l'ambiance de folie qui allait, pour sûre, être au rendez-vous. On l'avait tannée à s'y rendre et à se faire expressément bonne pour l'occasion. Pute classe, ça faisait bander n'importe quel mec à tous les coups. Faut dire que c'était un sacré nom, qui recevait. Elle n'en avait jamais entendu parler, mais apparemment, c'était un petit bourge assuré de faire partie de la sacro-sainte élite Parisienne, avant même d'avoir reçu son diplôme. Assas, HEC ou l'ESSEC, un nom ronflant dans le genre. Mais à part la qualité de la coke distribuée, elle s'était royalement fait chier. Les bourges ne savent pas faire la fête, ils ne savent pas ce que c'est, de danser. Ils se tortillent, lèvent les bras en l'air, s'affichent avec un éclat de rire sur les lèvres, pensant qu'ils seront moins ridicules s'ils se prennent en dérision. Loupé. Les filles, toutes blanches, rachitiques et bien-nées, se donnent différents styles. Il y a celles qui se dandinent sensuellement, façon chaudausse mais pas trop. Celles-là tournent généralement aux amphets et auraient rêvées vivre les années soixante. Woodstock, les partouzes, l'héro partout dans les rues. Après, il y a celles qui y vont plus franchement : elles sont aguicheuses, complètement pétasses, elles ont la bite dans les yeux. Elles n'ont pas peur d'afficher la couleur. Et puis il y a les dernières, les pires, celles qui se tiennent en retrait, une clope dans une main, l'autre repliée sous la poitrine. Elles sont souvent en noir, un slim en cuir trouvé chez Saint-Laurent, des boots à clous, un haut en mousseline hors de prix. Elles veulent se faire désirer, les putes, elles font genre de pas y toucher. Mais à la fin, elles ont toutes le même objectif, elles veulent toutes se faire enfiler par le premier qui passe. Non, en y réfléchissant bien elle n'a pas du y avoir droit, hier, pas cette fois.

    Elle s'est gavée de Dolipranes avant de sortir. Dans le couloir, elle a fait une halte devant son miroir de plein pied en céramique, fixé au mur. Elle n'avait pas réussi à maximiser son potentiel bonasse. Des fines rides commençaient à poindre au coin de ses yeux en amande, aussi aériennes que des légers coup de crayons posés sur une feuille de papier Canson. Il faudra qu'elle pense à acheter une meilleure crème anti-rides, chez Sephora. Son teint n'était pas aussi éclatant qu'à l'habitude, quand elle a bien décuvée. Malgré tout, elle gardait son visage à la Natalie Portman, avec ses yeux noisettes, son air mutin, angélique. Comme elle, Angélica.

ÉgérieWhere stories live. Discover now