La mauvaise graine

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Tu te noies dans l'alcool, moi, je faisais de même

Est-ce que, dans ta tombe, t'assumeras les rres-ve ?


C'est quand le fracas du verre commence à retentir, qu'il s'aperçoit enfin des dizaines de débris étalés sur le sol, éclatés comme de la poudre, qu'il se rend compte qu'il est totalement raide. Torché comme pas possible, ça lui donne une tête d'ivrogne. Il a tellement mélangé les liqueurs, il est tellement passé du whisky à la vodka, de la vodka au gin, du gin au rhum, du rhum au whisky, qu'il n'a même pas la force de se demander comment il peut encore tenir debout. Il n'arrive même pas à en crever, de sa flotte.

C'est qu'il commence à gagner en endurance, l'animal. Pas qu'il se mette tous les soirs une mine pareille, mais quand même. Ça devait finir par venir. L'accoutumance, il s'en souvient, c'est comme ça qu'il l'appelait cette sensation, son psy. Il avait seize ans à l'époque et il expérimentait ses premières cuites. En soi, c'était pas forcément ce qui posait le plus problème à ses parents. C'est l'âge, qu'ils se disaient. Ken, c'est un mec, un vrai, pensait son père, c'est qu'il devient un homme, mon fils. Ça a fini par devenir un problème quand ils se sont aperçus que les gueules de bois se rapprochaient de plus en plus, qu'il revenait ivre mort les soirs de semaine. Elle se faisait un sang d'encre, sa daronne, elle commençait à virer parano, à se remettre sans cesse en question, du genre qu'est-ce que j'ai bien pu rater dans son éducation ? Elle était tombée de haut, quand elle s'était rendu compte que son fils passait bien plus de temps à Châtelet qu'à son lycée du 15e. Il était encore trop bourré, ce matin-là, pour penser à tracer son bulletin du second semestre. La sentence était tombée avec au programme crise de larmes, réunion de famille et décisions qui se voulaient drastiques et révolutionnaires. Au final, il s'était juste tapé des rendez-vous hebdomadaires avec un psy, une nouvelle fois. Un mec qui avait une gueule de psy, un tempérament de psy, une dégaine de psy. L'archétype du quadra chiant. Il n'avait rien à lui raconter, en plus. Ouais, les cours le faisaient chier, ouais il préférait traîner en ville avec sa bande de potes et sa meilleure amie. Ouais, ça le faisait kiffer d'écumer autant les soirées. Il se créait ses propres souvenirs, expérimentait ce que ses parents lui avaient toujours défendu de faire. Il n'y avait rien à comprendre et il ne comprenait vraiment pas pourquoi on le faisait autant chier pour des délires que tous les ados avaient en commun. Mais l'autre lui sortait ses discours moralistes tout faits qui le faisaient carrément sortir de son cadre de psy, le mettait sans cesse en garde, genre l'école c'est important, tu finiras par le regretter si tu ne continues pas tes études, ou encore la drogue ça détruit des vies, c'est pas ça que tu veux à ton âge, n'est-ce pas ? Tu veux pas être comme tous ces drogués qui sont totalement dépendants de leurs produits, en totale situation d'accoutumance, hein ? Bah si, pourquoi pas.

La tête tourne, le décor tangue. L'estomac se croit dans une compet' de saut à la perche. Pas le temps de se rendre jusqu'à l'évier qu'il a déjà tout dégueulé sur le carrelage du salon. Le temps de réaction reste à améliorer. Il sent comme un poids en moins, ça le calme direct. Une certaine euphorie du moment qui s'envole pour laisser place à un sentiment de lassitude. Il regarde autour de lui et ça lui fait tout drôle de se voir seul, chez lui. Son appart est toujours squatté d'habitude, il est jamais tranquille deux minutes. Toujours quelqu'un avec qui faire une partie de FIFA, une fille avec qui tchatcher, un membre de son groupe avec qui créer un son. Il avait un plan, pourtant, ce soir. Mohamed l'avait invité à passer la soirée chez lui, en mode posé, sans alcool, sans meufs, rien de tout ça. Il était en train de partir en vrille totale, Nek, il pétait un plomb et tous ses potes l'avaient remarqué. Il a ses périodes. Parfois, il passe ses week-ends en boîte, vit à cent à l'heure, rigole aux éclats, balance sa thune à qui le désire. Il a l'air totalement insouciant quand il est comme ça, un vrai gamin. Tout l'été il était dans cet état d'esprit là, à se pointer dans les meilleures boîtes de la capitale et de la Côte d'Azur. Paraît qu'il s'est tapé que des bombes, d'après ce qu'il se plaisait à raconter. Il était dans un déni total. Et dernièrement, c'est arrivé. Il a réalisé qu'il ne la reverrait plus, qu'elle était définitivement partie. Plus d'Anissa, plus de meilleure amie. Depuis, il enchaîne les cuites, en solo dans son appart. Retour vers ses seize ans. Sauf qu'il a l'alcool tout sauf joyeux.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 02, 2017 ⏰

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