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-Debout ! Allez lève-toi

C'est Léa qui me chuchote doucement que je vais être en retard à l'enterrement. 


Je suis rentrée il y a une semaine environ, j'ai retrouvé ma maison et mes quelques habitudes. Enfin, j'ai surtout dû me réhabituer à une autre Léa. 

Je suis rentré tard, vers trois heures du matin,  je crois, Léa était encore debout, assise dans le noir, une tasse de café posée sur la table basse du salon. J'ai poussé un petit cri en la voyant dans cette position, les yeux fixés dans le vide, des cernes énormes pendaient de son regard froid, elle était emmitouflée dans une  grosse couette et je reconnaissais son pyjama en flanelle bleue. Elle ne me remarqua pas tout de suite, en fait, elle ne sentit ma présence seulement quand elle remarqua le canapé s'affaissait sous mon poids. Si elle n'avait pas  été assise, je l'aurais cru morte. En m'approchant, je vis ses lèvres mordillées et sanglantes, et des larmes séchaient sur ses joues.

Étais-je la cause de son mal-être ? 

Je n'étais pourtant parti que trois jours, il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat, si ? 

J'essayais de la prendre dans mes bras, en vain, elle recula et poussa un cri, elle aussi. En tournant  sa tête, je vis ses yeux rouges et une énorme tristesse en ressortaient. 

Je compris à cet instant, qu'il s'était passé quelque chose de plus grave, de plus important. 

-Léa ? Qu'est-ce qu'il se passe ? 

Pas de réponse, je m'inquiétais de plus en plus, je commençais à sentir mon cœur tambouriner dans ma poitrine. 

-Léa, réponds-moi ! Qu'est-ce qui a ? 

Toujours pas de réponse. Maintenant, mon cœur ne tambourinait plus, il frappait ma poitrine.

-Léa ! Criais-je.

Elle s'effraya.

-Ma mère est morte. 

Elle m'avait parlé calmement, plus calme que je ne l'avais jamais entendu. Ses yeux étaient fixés sur moi.

-Mon dieu... Comment ? Bégayais-je.

-Elle s'est suicidée. 

Le monde se refermait autour de moi, je manquais d'air. 

La mère de Léa était une femme de 69 ans, la maladie d'Alzheimer l'avait frappé  assez tôt, dix mois s'étaient écoulés depuis l'annonce des médecins. Elle était déjà à un stade avancé de la maladie. Elle ne se rappelait ni de moi, de Léa ou de ses voisins, de l'heures qu'il était, si elle avait déjà mangé ou non. Étonnement, elle s'était toujours rappelée de son mari, Gilles, et même de sa passion, l'écriture et la lecture, ça elle s'en rappelait. Je crois qu'elle n'a oublié que ce qu'elle voulait oublier et à garder le reste.

Je l'aimais bien, Angel, elle s'appelait Angel. S'était une femme simple et coquette, peut être un peu moins ces dernières semaines. Malgré la maladie, elle n'était pas devenue méchante ou violente. Elle était restée elle, avec une partie de mémoire en moins. 

Nous sommes restés assis sur le canapé tout le reste de la nuit, je n'ai pas dormi et je crois que Léa non plus, nous ne nous sommes pas touchés, même pas une main sur l'épaule pour dire que ça ira, non tous ça s'était pour les couples et pour l'instant, j'avais plus l'impression d'être son ami. Je ne pouvais pas lui en vouloir, elle traversait une épreuve difficile.

Deux jours plus tard, Léa était venue me réveiller, elle portait déjà sa robe noire. Elle l'a porté déjà le jour de l'enterrement de mon arrière tante, morte d'une crise cardiaque je ne l'avais vu qu'une fois ou deux, mais rien de plus. Elle avait attaché ses cheveux en chignon, et portait une pointe de mascara. Malgré qu'elle soit chiante, elle est encore jolie. 

-J'arrive ! Lui dis-je.

Nous ne nous étions pas disputés depuis que je suis rentré de chez Romy. Oh, Romy ! J'y pensais tout le temps,  je revoyais son sourire, et ses cheveux volaient dans l'air quand elle se tournait, je me souviens de son odeur pêche mangue... J'aurais tellement aimé qu'elle soit là, c'est avec elle que je voulais aller à l'église ce matin, pas avec Léa. 

Mes congés sont posés pour trois semaines, je ne les ai pas encore touchées de l'année et je crois en avoir bien besoin. Angel n'était peut-être pas ma mère, mais je l'ai considéré comme une amie que j'aimais avoir à dîner, avec qui je pouvais parler. Je crois même avoir été plus proche d'elle ces deux dernières années que Léa et elle de toutes leurs vies.

Léa croyait que je n'avais droit qu'à une semaine de congé, j'avais décidé de lui mentir, je ne suis pas encore sur du pourquoi. 


Neuf heures trente, la messe commence à 10 heures, nous sommes devant l'église, Léa pleure à mon bras et remercie la suite de personnes venant lui adresser leurs condoléances. Moi, on m'ignore, certains me saluent très vite et passent à autre chose. Le père de Léa, Franck, est à côté de moi, lui aussi à droit à une ribambelle de condoléances. Il se retient de pleurer, je le vois bien, il sait comme moi que la plupart des gens sont ici pour faire bonne impression et surtout par politesse, certains se forcent même à pleurer. À chaque fois qu'une personne hypocrite passe le saluer, il tourne la tête vers moi, et j'entends son "je comprendrais jamais pourquoi ces gens s'obstinent à venir alors qu'ils n'ont croisé ma femme qu'une fois à la boulangerie" silencieux. Nous nous comprenons comme ça, avec des regards perdus.

C'est un vieil homme de 70 ans, des cheveux gris recouvrent presque toute sa tête, laissant qu'un petit trou au milieu chauve et  énorme moustache grise est taillée soigneusement au-dessus de sa fine bouche. Ce jour-là, il porte une chemise noire, une veste noire et un pantalon noir. Ces vêtements lui donnent l'air encore plus renfermé. 

  À  dix heures, les portes de l'église s'ouvrent et laissent entrer la masse noire triste. 



Le noir n'est pas triste, il est poétique.Where stories live. Discover now