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Arri était l'enfant de la boue. Descendant des exilés, son pelage, lorsqu'on le grattait, arborait de magnifiques tâches noires sur un fond de crème. Mais peu en était fier, de ce symbole qui un jour avait signé la gloire des jaguars. Arri étaient un gamin de la fange parmi d'autres. Rejeton et ami des farfadets, qui naissaient de la bourbe, s'enflammaient un instant pour disparaitre. Il connaissait les points ou l'eau si chaude pouvait jaillir et vous brûler, Il évitait les formes à la surfaces, invoquait la prudence lorsqu'un remous indiquait dans les eaux une présence. Arri ne craignait rien des marais, des terres sales qu'on lui reléguait comme héritage. Sa mère l'avait mis au monde quelque part par là.

Il connaissait les lois de cet univers, en tirait les leçons. Il respectait les coutumes, comprenait la mort. Mais malgré cela, Arri, restait loin des autres. Il ne trouvait aucun réconfort à se lier à ses semblables, ne trouvaient rien de commun entre lui et les autres enfants. Il pouvait, comme eux, sentir le vent, comprendre les eaux, ou encore, lire dans les nuages et ses infimes variations les temps à venir, mais malgré tout cela, il lui manquait l'essentiel. Il n'aimait pas Dieu.

Ces prières lui paraissaient vides de sens, il ne trouvait aucune conviction dans ces pamphlets qu'il récitaient par cœur ; Il n'entendait rien de divin dans les mots du prêtre, ne trouvait point de réconfort à s'adonner au culte. Plein de culpabilité et de peur, il s'efforçait de prier pour racheter son âme auprès d'un spectre qu'il ne voyait pas. Il dissimulait son hérésie derrière la piété, plus vertueux que les autres. Apte à mentir, à adorer sans amour, car s'il ne craignait pas dieu, il s'effrayait d'imaginer son sort si on perçait son cœur. Que lui réserveraient ses semblables la vérité une fois exposé ?

De sa vie Arri tirait les leçons. Le félin d'à peine douze automnes en connaissait beaucoup. Comment confier des secrets pour en enterrer d'autres, comment se faire oublier, comment mentir, rejeter la faute... Arri se dégoutait lui-même. Il était différent.

Les barques avançaient en colonne sur les eaux troubles, glissant entre les racines, comme des piques desséchées. Les arbres étaient de longues tiges fines, terminées par des rameaux de griffes noirs. De grandes épines qui perçaient les eaux et y découpaient des reflets torturés. Un paysage sinistre, et silencieux. Il fallait des oreilles de lynx pour discerner le moindre son.


Les jaguars filaient sur les cours d'eau, dans la semi pénombre d'un jour couvert. La pluie arriverait bientôt. Arri, derrière sa mère, observait la lande déstructurée. Son pays natal semblait porter les traces d'un mauvais sort. Sur la barque à l'avant de la file, un fanion noir et blanc usé voletait à peine. La fleur de lotus qu'il arborait semblait dépérir, ses couleurs fanait avec l'usure ; elle semblait tomber, cette fleur couchée sur le côté. Arri pencha la tête avec elle, ainsi, pouvait il percevoir, sous la saleté, un peu de beauté.

Les éclaireurs revenus, ils entrèrent dans une clairière, et accrochèrent les bateaux aux arbres. La mère d'Arri le surveilla dans ses nœuds, lui pinçant les doigts lorsqu'il se trompait. Une barque perdue était un jaguar mort. Il finit par obtenir un résultat satisfaisant, et la féline, lui accorda de descendre. Les arbres plus nombreux encerclaient un petit lac d'eau plus clair. Au fond, une douce lumière traversait. Tous les autres enfants plongèrent dans l'eau pour aller dans les fonds. Arri resserra sa ceinture et plongea à son tour. Dans l'eau, il se sentit revivre. Il y nageait dans son environnement, libre. Les félins s'enfonçaient non loin de lui, vers la lumière, le jaguar fini par les suivre. Au fond, une forêt de racines empêchait l'accès. Mais les petits corps des enfants passaient encore dans les branchages. Arri pénétrait tout juste. Il descendit plus encore, vers la lumière. Incrustées dans la roche, des milliers de pierres rondes et luisantes. Les coquillages lisses respiraient de fines gouttelettes d'air, qui remontaient à la surface et purifiaient l'eau. Arri en décrocha quelques-unes, avec attention. Lorsqu'il remonta, il avait mis une éternité. Les autres enfants étaient déjà dans les barques avec leurs parents. Arri se hissa seul.

« C'était long. » commenta sa mère sans un regard pour lui.

« Pardon, s'excusa-t-il. »

Il lui tendit les coquilles.

« Elles sont grosses. »

Arri accepta le compliment. Il le savait, il était le meilleur cueilleur de coquillagess. Il trouvait toujours, au milieu de tout, la plus lourde d'entre elle. Lorsque sa mère les ouvrit, elle trouva deux perles qu'elles dissimula dans son pagne. Elle caressa la tête de son fils avec affection. Arri était comblé. Mais il leur faudrait plus de perles. Ari avait douze automnes et le rituel approchait. Seuls les enfants pouvaient cueillir les conques. Arri grandissait vite.

« Le prêtre est venu me parler, lui annonça sa mère. »

Arri se stoppa net. Ses griffes creusèrent dans le bois de l'embarcation. Cette nuit viendrait son tour.


Astal : histoires de peuplesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant