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Derrière eux, une bande d'adolescent à peine plus vieux qu'eux les observait. Typés hispaniques, ils étaient tous vêtus de la même manière - baggys et tee-shirt larges - et l'un d'eux était juché sur une moto grise quasi neuve. Nina se demandait s'il savait seulement la conduire. Elle s'apprêtait à ouvrir la bouche, mais Armando la devança.
-Laissez la tranquille, niños.
La jeune femme fronça les sourcils lorsque la main de son demi-frère se referma sur son poignet. Bientôt, il la tira vers lui et sans un mot, ils se mirent en route. Derrière eux, la bande semblait rechigner, poussant des jurons en espagnol.
-Ça veut dire quoi polla? demanda Nina tandis qu'Armando lui relâcha le poignet, et c'était qui ces types?
-Des gamins, rien de plus.
-Et polla? insista t-elle en jetant un coup d'œil par dessus son épaule.
Les adolescents ne semblait plus lui prêter attention, ils discutaient entre eux avec animation.
-Ça n'a aucune importance, et dépêche toi, sinon on va rater le bus, répliqua t-il en pressant le pas.
-Tu parles de ce bus là? demanda t-elle innocemment en pointant du doigt un autobus qui allait dans leur direction.
-Cours! lui ordonna t-il alors.
Nina n'était pas une très grande sprinteuse. Aussi, ils ratèrent le bus qui s'en alla sans eux. A bout de souffle, ils rejoignirent l'arrêt de bus en marchant, et s'assirent sur le banc en silence. La jeune femme n'osait pas parler, elle savait très bien que s'ils l'avaient raté c'était parce qu'elle n'était pas assez rapide. Mais au lieu de s'excuser, elle éclata de rire. Armando, rouge d'effort, la dévisagea.
-T'aurais du voir la tête des gens quand on courrait, dit-elle en s'esclaffant de plus belle.
-En même temps, si tu n'avais pas hurlé comme une détraquée on serait passés inaperçu, rétorqua t-il avant de rire à son tour.
Une luxueuse voiture noire passa devant l'arrêt de bus. Les vitres teintées empêchaient Nina d'en voir le conducteur, et bientôt, l'automobile s'éloigna. La jeune femme ne sembla pas remarquer qu'Armando avait cessé de rire. Le regard perdu dans le vague, il inspira profondément et se pencha sur le côté, guettant le prochain bus.

Le centre commercial du centre-ville de Meanhills- situé à 10 minutes du quartier de l'East - était énorme. Sur trois étages, il était composé d'une centaine de magasin, de restaurants et d'un grand cinéma de plusieurs salles. Arrivés à une heure de l'après-midi, Armando et Nina étaient allés se chercher des sandwichs au premier fast-food qu'ils avaient trouvés. La jeune femme en avait profité pour se procurer une puce américaine et s'était même achetée un jean clair et déchiré. Quant à Armando, il repartait les mains vides, mais tout deux avaient passé une merveilleuse journée.
A présent, ils attendaient le bus qui les ramènerait au quartier de l'East, un gros pot d'Haagen Dazs en main qu'ils partageaient à deux. Il était environ quatre heure de l'après-midi et le soleil brillait toujours autant dans le ciel.
Nina observait Armando attentivement. Non seulement elle se sentait bien chez son père, mais en plus de ça, elle avait l'impression de s'être fait un véritable ami. Elle n'avait pratiquement jamais discuté avec Armando auparavant, et pourtant, elle était devenu proche de lui en peu de temps. Elle n'aurait jamais cru ça possible. Pour la première fois de sa vie, elle avait l'impression, voir la certitude, d'avoir trouvé un petit chez-soi bien à elle et rien ne semblait ternir ce beau tableau. Pour l'instant, susurra une voix rabat-joie dans sa tête qu'elle s'empressa de chasser.
-Holà Armando! interpelle une voix masculine à l'accent exagéré dans leur dos.
Nina et Armando se retournèrent à l'unisson. Quatre personnes, de leur âge à peu près, s'approchaient d'eux. Ils étaient tous typés hispaniques, il y avait trois garçons et une fille. Cette dernière toisa Nina de la tête au pied et la jeune femme lui répondit par un même regard mauvais. Elle avait un style assez garçonnet et ses cheveux étaient rassemblés n'importe comment en une queue de cheval mal soignée.
-Amigos! Qu'est-ce que vous faîtes là? répondit Armando en leur faisant à chacun une accolade.
-On avait rien à faire, alors on est venu traîner au centre, répondit l'un deux, assez enrobé et mate de peau avant de poursuivre: et...
-C'est qui cette blanche? intervint la fille en fusillant Nina du regard.
La jeune femme s'apprêtait à se lever du banc pour lui faire face, désirant lui montrer d'un peu plus près la main de la «blanche», mais Armando la retint par le poignet.
-Parle lui correctement, Erika. C'est ma demi-sœur, Nina, répondit-il en relâchant le poignet de cette dernière.
-C'est elle ta demi-sœur? Tu m'avais pas dit qu'elle était aussi canon, tu nous caches des choses Arman! répliqua l'un d'eux, aux yeux assez clair.
Une fois de plus, Nina allait lui répondre mais son demi-frère la devança.
-Elle est arrivée hier, elle...
-Continuez, hein, c'est pas comme si j'étais là, juste en face de vous, après tout, le coupa Nina en évitant soigneusement le regard d'Erika.
Le seul qui n'avait pas encore parlé, le grand brun à la peau clair, tendit sa main vers Nina.
-Moi c'est Miguel. Ne fais pas attention à Santiago et Fred, ils peuvent se comporter en parfait gamin, des fois. Et elle c'est Erika. A première vue, elle a l'air d'une vraie sorcière, mais quand tu la connais un peu mieux...
-Tu réalises que c'est effectivement une sorcière, poursuivit le garçon aux yeux clairs en s'esclaffant.
Erika lui asséna un coup sur l'épaule et il eut un rictus douloureux en se la massant.
-Enchantée, répondit Nina en serrant la main de Miguel.
Au même moment, le bus arriva et ils y montèrent tous les six pour s'installer au fond. Nina se retrouva au centre des conversations et une fois encore, ils parlèrent d'elle comme si elle n'était pas là. Elle poussa un soupir d'exaspération et se contenta d'observer à travers la vitre. Au bout de quelques minutes cependant, on daigna enfin s'adresser directement à elle.
-Et tu viens d'où, Nina? lui demanda Miguel.
-J'ai beaucoup voyagé... Mais juste avant de venir en Californie, j'habitais à Paris.
-Prétentieuse, glissa Erika en levant les yeux au ciel.
Elle l'avait dit tellement bas que Nina cru l'avoir imaginé. Aussi, elle préféra l'ignorer. Quelques minutes plus tard le bus s'arrêta. Santiago et Fred descendirent à cet arrêt et le trajet reprit. Pour son plus grand bonheur, Miguel, Erika et Armando cessèrent de parler d'elle et, perdue dans ses pensées, elle se contenta de regarder par la vitre du bus.
Lorsqu'elle tourna la tête au bout de cinq minutes, Nina remarqua que les deux garçons discutaient entre eux et qu'Erika était juste à côté d'elle, ne pipant un mot. Ce silence devint rapidement oppressant et la jeune femme reporta son attention sur l'extérieur. Au loin, elle vit les premières maisons du quartier se dessiner. Planté plus en avant, il y avait un panneau indiquant l'entrée du quartier, cependant le mot East était barré. Nina fronça les sourcils, car dessus on pouvait y lire:

Quartier de
Los Reyes

-Pourquoi est-ce que le nom du quartier est barré? demanda t-elle instinctivement.
-Parce qu'ils font leurs lois, répondit Erika tout naturellement.
Nina lui jeta un regard surpris, elle ne s'attendait pas à une réponse, et surtout pas de sa part. Cependant, sa curiosité fut piquée.
-C'est qui ça, ils?
-Eh bien, ce sont les rois, répliqua Erika d'un air laconique.

Un point d'interrogation serti d'une couronne majestueuse. Voilà tout ce que représentaient ces mystérieux «rois» pour Nina. Elle avait voulu poser plus de question à Erika, mais le bus était arrivé à destination et ils étaient tous les quatre sortis en silence. Miguel et Erika vivait à quelques rues de chez son père, ce qui expliquait le fait qu'ils soient amis avec Armando depuis l'enfance. Katherina avait prévu quelque chose de moins solennel pour le dîner, de plus américain: hamburger-frittes. Encore une fois, ce moment passé à table était convivial. Isaac leur avait raconté sa journée chez Tristan, son ami, quant à Katherina et Pete, ils s'étaient contentés de dire «Ah, le travail quoi, le travail!». Après avoir débarrassé la table et lavé la vaisselle aux côtés de ses demi-frères, Nina était monté prendre une bonne douche, et comme si c'était devenu là un rituel, elle avait appelé sa mère avec sa nouvelle puce. Deux débriefs et quelques surnoms ridicules plus tard, elle se retrouvait à gribouiller sur son carnet, allongée sur son lit.
Trois petits coups toqués sur la porte résonnèrent et cette dernière s'ouvrit sur Isaac. Nina referma rapidement son carnet et le glissa sous son oreiller, Isaac ne parut pas le remarquer.
-Bonne nuit! dit-il simplement avant de faire demi-tour.
-Bonne nuit, Isaac, répondit-elle en souriant, attendrie.

Nina éteignit la lumière et se coucha sous ses draps. Elle avait laissé les volets ouverts parce qu'elle n'aimait pas dormir dans le noir complet. Les minutes passèrent, mais elle ne trouvait pas le sommeil. Elle se tournait et se retournait dans son lit, et consciente que c'était inutile, elle sortit son carnet. Malgré l'obscurité, elle se mit à dessiner tout et n'importe quoi. C'était une manière pour elle de mettre de l'ordre dans ses pensées.
Elle se questionnait au sujet de ces fameux rois qui faisaient leurs lois et du panneau à l'entrée du quartier. Elle se demandait de quoi il s'agissait, d'un groupe d'ados rebelles peut-être? Plus Nina songeait, plus ses pensées divaguèrent. Elle se mit à appréhender sa rentrée qui aura lieu lundi. Elle se demanda pourquoi elle n'y avait pas songé plus tôt et en vint à la conclusion qu'elle n'avait pas eu le temps d'y penser. Ce qui la rassurait un peu, c'était qu'Armando serait avec elle pour la guider.
Soudain, elle se braqua. Elle avait oublié quelque chose, elle le sentait, mais plus elle se creusait la tête, plus elle avait du mal à s'en souvenir. Perplexe, elle se mit à ronger le bout de son crayon de papier en fronçant les sourcils. Elle écarquilla alors les yeux. Ses fournitures scolaires. Elle n'avait rien acheté, elle n'avait même pas consulté la liste à vrai dire. Elle ne savait pas exactement comment l'avouer à Armando sans se prendre un pieu dans le cœur. Le tout pour le tout, elle se décida à sortir son téléphone portable et à envoyer un message à son demi-frère, qui résidait pourtant dans la chambre voisine.

A Armando, 23:34
Oups!

La réponse fut immédiate.

De Armando, 23:34
Quoi?!

A Armando 23:35
Je viens de me souvenir que je n'ai pas encore acheté mes fournitures scolaires.

A côté, la voix de son demi-frère s'éleva, et Nina l'entendit comme s'il était en face d'elle.
-T'es chiante! On était au centre-commercial tout à l'heure, t'aurais pu me prévenir!
-Désolé! répliqua t-elle en se penchant vers le mur.
Aucune réponse. La jeune femme s'extirpa de ses draps et en quelques secondes à peine se retrouva devant la porte de la chambre d'Armando et d'Isaac. N'osant pas entrer, elle se pencha sur le trou de la serrure.
-Dé-so-lé, articula t-elle, penchée en avant.
Toujours aucune réponse. Elle s'apprêta à s'excuser de nouveau, mais elle avait à peine dit «dé» que la porte s'ouvrit à la volée. Armando, en caleçon et tee-shirt arqua un sourcil et planta son regard dans celui de Nina.
-T'as finis de t'excuser? demanda t-il d'un air impatient.
-Tu ne me répondais pas, se justifia t-elle bêtement.
Cependant, le regard faussement sérieux d'Armando le trahit, et la jeune femme esquissa un sourire malicieux.
-Mais qu'est-ce que tu veux que je te réponde? Merci de ton désolé? renchérit le jeune homme en se retenant de rire.
-Pourquoi pas!
Ils partirent tous les deux dans un fou rire, mais la voix fatiguée d'Isaac s'éleva dans le dos d'Armando et ils se turent.
-C'est pas grave, demain on ira à la librairie du quartier, et maintenant va dormir, tu délires complètement à venir chuchoter dans le trou de ma serrure.

Nos certitudes immuables (en pause)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora