Le silence de Garfield

xxx EN ROUTE xxx

Abords de l'Ile Longue, Sud de rade de Brest.

J-0, 8h30 du matin

Ainsi ils appelaient cela la baignoire ?

Drôle d'idée. Kornelio l'aurait appelée tout au plus 'cheminée', ou 'tour', ou même 'endroit où se trouve le périscope'.

En tout cas il en arrivait presque à regretter que la plus grande partie de son budget de recherche lui vienne du Ministère de la Défense. Bien sûr cela lui avait permis de monter son laboratoire et choisir ses assistants, mais cela avait aussi eu comme un arrière-goût de pacte passé avec le Diable. Et quand on lui avait demandé de prouver l'avancement de ses travaux il n'avait pas eu d'autre choix que d'accepter une démonstration 'grandeur nature'. En tout cas s'il voulait bénéficier d'une nouvelle année de subventions...

Et tout ceci l'avait amené ici, lui qui n'avait pas le pied marin. En plus, subvention ou pas, il fallait bien reconnaître que les sous-marins n'étaient pas son fort. Pas comme les particules élémentaires, les désintégrations de noyaux atomiques, la physique quantique. Voilà des choses qui lui parlaient plus. Or, maintenant qu'il les voyait côte à côte, les deux mondes lui semblaient diamétralement opposés : le gigantisme et la tradition d'un côté, l'infiniment petit et la recherche de pointe de l'autre.

Deux mondes qui pourtant s'étaient rejoints, le temps d'une 'démonstration grandeur nature', juste sous ses pieds, dans les entrailles de la machine qui venait de quitter la base de l'Ile Longue.

À côté de lui le commandant du Durandal, regardait les deux remorqueurs les aider à sortir de la base navale sans encombre. Haute silhouette, carrure de rugbyman, cheveux  grisonnant à peine, Kornelio lui donnait une petite cinquantaine, une voix dont la douceur contratait étrangement avec la force que dégageait le personnage

- Alors ? Quelles sont vos impressions pour votre première sortie professeur?

- Impressionnant... légèrement remuant... et fortement imposé, répondit Kornelio.

- Impressionnant c'est vrai, et je peux vous garantir que ça l'est à chaque sortie. Pour ce qui est de remuer vous ne vous rendrez presque plus compte de rien quand nous serons en plongée. Et pour ce qui est du 'fortement imposé'... et bien cela n'est pas de mon ressort.

- Pas du mien non plus... dit Kornelio avec un hochement de tête, mais on m'a bien fait comprendre que je n'avais pas vraiment le choix. En tout cas pas si je voulais conserver mon laboratoire et mon poste ».

- Bah, ... prenez les choses du bon côté, vous allez voir comment se comporte votre invention en conditions réelles.

- Justement, sans vouloir vous offenser et vu le type d'engin sur lequel nous sommes, je préférerais que les conditions ne deviennent pas trop 'réelles' comme vous dites si joliment.

Pour toute réponse le commandant donna une tape sur l'épaule du jeune physicien. Tape amicale, mais qui lui indiquait aussi le trou sombre de l'écoutille à leurs pieds. Il était temps de rentrer avant la première plongée.

Kornelio descendit de son mieux les échelles qui cheminaient entre les câbles et les équipements avant de se retrouver dans le poste central de navigation et d'opération. On lui avait toujours dit que l'espace était moins compté dans les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins que dans leurs petits frères les SNA, les sous-marins d'attaque, pourtant, en regardant l'espace autour de lui encore plus exigu et plus encombré que son propre laboratoire, il avait du mal à le croire. Les hommes installés à leurs postes étaient parfaitement calmes, comme si vivre dans cet espace confiné était une chose naturelle. Les voix et les bruits des mouvements étaient les seuls sons audibles. Les bruits des machines étaient à un niveau si bas qu'il ne parvenait pas à les entendre. En vérité il se demandait même si le 'moteur tournait'. Le commandant qui l'avait planté là, comme un sac laissé à terre, et supervisait les opérations. Une main se posa sur son épaule. Kornelio sursauta, se retourna et se retrouva face à un nouvel officier.