⚜ Prologue ⚜

4.6K 249 95
                                    

20 janvier 1683, Paris

Dans les rues de Paris, les villageois se bousculaient sans ménagement et la monnaie passait de main en main. Il était passé treize heures et on se pressait autour des étalages du marché. Ces derniers temps, les produits étaient rares et il était fréquent d'en arriver aux mains pour obtenir le moindre navet.

Tremblante, une jeune femme d'à peine dix-sept-ans se fraya un chemin dans la foule en jouant des coudes. Une brise hivernale soufflait, glaçant son sang dans ses veines.

La neige volait, ce jour-là, tombant lentement au sol, le recouvrant d'un léger duvet blanc. Jamais Lise n'avait connu d'hiver aussi froid. Son tablier recouvrant une chemise trop large, était maculé de boue. De nombreux flocons s'étaient pris dans ses cheveux emmêlés, couleur de blé. Un fine peau de mouton offrait une faible protection à ses épaules frappées violemment par le vent froid.

Les ruelles étroites de Paris étant de véritables coupe-gorges, elle ne s'arrêtait jamais longtemps dans ces endroits dangereux.

Elle traversa plusieurs ruelles sans oser regarder les mendiants inertes au pied des murs. La vue de ces corps provoquait en elle un profond sentiment d'impuissance. Le froid était coriace ces derniers temps, emportant un à un les plus démunis comme une rivière transporte des feuilles mortes.

La neige avalait les traces de ses pas si rapidement qu'elle se serait perdue si elle ne connaissait pas par cœur les lieux. Elle croisa un groupe de chiens errants cherchant quelque denrée dans une flaque de boue gelée. Tout en fixant les pauvres bêtes avec pitié, elle pressa le pas.

Le givre scintillait sur les toits des maisons. Les plus riches villageois avaient un nuage de fumée s'échappant de leurs cheminées. Lise aurait préféré rester auprès des siens plutôt que de braver le froid, mais son statut d'aînée lui imposait de chercher des vivres au marché, pour laisser dormir sa mère malade.

Cela faisait plusieurs semaines que cette dernière était souffrante. C'était à peine si elle arrivait encore à manger. L'hiver n'arrangeait rien et son état empirait de jour en jour.

Le docteur était trop occupé auprès des bourgeois qui pouvaient le payer grassement, si bien qu'il n'avait donc pas encore eu la possibilité de venir au chevet de la malade.

La famille de Lise ne vivait pas dans une grande maison. En réalité, il s'agissait de l'atelier de son père, un petit menuisier sans grande fortune. Celui-ci disait qu'il lui céderait ses locaux pour qu'elle prenne sa suite lorsqu'il ne serait plus de ce monde.

La bise s'intensifiant, la jeune femme tira le col de sa chemise pour se protéger du vent glacial. Elle songea que le Seigneur la mettait sans doute au défi de survivre à de telles températures.

En arrivant sur la place du marché, elle chercha des yeux un fermier, ami de son père qu'elle connaissait depuis son enfance. Elle devait lui acheter des légumes pour préparer un potage.

Alors qu'elle tentait de distinguer le maraîcher à travers la foule, elle entendit soudain un cri un peu plus loin. Surprise, elle tourna la tête et remarqua qu'un attroupement s'était formé à l'écart des Halles.

Va acheter tes légumes et rentre, lui soufflait son esprit.

Lise savait bien qu'elle ne devait pas s'attarder. Mais sa curiosité la poussa à s'approcher davantage. À Paris, les émeutes faisaient partie du quotidien.

Comme elle, de nombreuses personnes se massaient dans cette direction. À mesure qu'elle avançait, les cris s'intensifièrent.

Elle entrevit enfin quatre individus, aux vêtements sales, qui malmenaient violemment une jeune femme. La malheureuse hurlait de terreur, faisant jubiler ses agresseurs qui lui agrippaient les cheveux et lui arrachaient des vêtements.

Éblouie par le Soleil | EN LIBRAIRIESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant