VIII - Léo

2.7K 348 51
                                    

En arrivant devant la porte du bar, je l'ai aperçue tout de suite. Seule, en train de servir et de discuter avec les quelques rares clients au comptoir, son sourire qui sonnait faux. Je l'ai reconnu immédiatement car c'est celui qu'elle nous a servi cet après-midi en plein entretien, lorsque les questions ne lui avaient pas plu.

Je me demande à quel point j'ai du l'observer pour déjà discerner ses émotions. Il faut vraiment que je me calme. Je ne me suis jamais intéressé à une femme de cette façon, et ça m'inquiète. Je ne l'ai vue que quelques fois et nous n'avons même pas commencé à travailler ensemble. Qu'est-ce que ce sera lorsque je la verrai H24 ?

C'est bien pour ça que je ne voulais pas venir. Chaque fois que je me retrouve à la regarder, à lui parler, je me rends compte qu'une partie de moi apprécie beaucoup trop. Ces yeux mais surtout sa voix, me perturbent, et à part tenter de me montrer désagréable ou indifférent, je ne trouve aucun moyen d'y remédier. La perspective de sa vie à nos côtés ne me tourmente que davantage.

Putain. Je sens que cette histoire va être une emmerde de plus dans ma vie déjà si bordélique. Et je ne peux rien y faire. Je regrette vraiment d'avoir sniffé toute cette merde, et d'avoir abandonné mon rôle de leader. On ne serait pas sur le point d'intégrer une foutue bonne femme dans nos rangs. Je ne serais pas là à me cailler les miches et à me poser toutes ces questions.

A côté de moi, Jules ne se doute pas de tout ce qui m'agite et me lance un sourire ravi. Il est heureux d'avoir réussi à m'emmener avec lui. Même mon expression ennuyée et ma mauvaise humeur flagrante ne l'atteignent pas. Il se fait une joie d'accueillir cette fille parmi nous et rien ne pourrait surpasser ce sentiment.

J'avais senti son impatience à l'instant même où elle avait disparu derrière la porte, cet après-midi. Après ça, j'avais à peine écouté la discussion entre lui et notre manager. Je savais de quoi il en retournait, je ne me faisais pas de faux espoir : Jules avait fait son choix et d'après ce que j'avais pu constater, Leto suivait le même raisonnement. La voix qu'ils avaient voulu pour le groupe, était celle de cette fille et de personne d'autre.

C'est logiquement que Jules m'avait demandé de l'accompagner la voir, le jour même. L'excuse du concert qui approchait et des détails à régler pour son arrivée à la résidence, ne m'avait pas du tout convaincu. Je le connais par cœur ce gars, de qui croit-il se foutre ? Il est pire qu'un gosse. On lui avait offert un nouveau jouet et il voulait l'utiliser le plus vite possible. J'ai bien conscience que la comparaison n'est pas de très bon goût – surtout pour elle – mais c'est ainsi que je le vois ; Jules est un impatient, un mec qui a souvent eu ce qu'il voulait dans la vie et là, c'était elle. Il ne la laisserait pas se défiler. Il utilisera tout son charme pour la faire venir et rester, je n'en doute pas.

C'est parce qu'il a une importance capitale dans mon équilibre, que je me retrouve encore à le suivre dans son caprice. J'ai d'abord essayé de refuser. Il était hors de question que je passe une soirée de repos à m'occuper de cette toute nouvelle recrue. Mais Jules ne lâche jamais l'affaire sans se battre et contre moi il a toutes les armes. Surtout celle de mon ancienne addiction et de mes cauchemars récurrents. Le groupe est bien trop important dans ma vie pour que je joue au con avec lui.

Nous sommes le jour et la nuit, lui et moi. Nos vies ont été si différentes. Cela aurait pu nous éloigner. Nos points de vue auraient pu être bien trop divergents pour s'accorder mais il n'en avait rien été. Dès la fin du collège, j'avais laissé ce gamin rentrer dans ma vie merdique et il m'avait ramené un peu de soleil. Ce qui me manquait cruellement.

C'était l'époque où je vivais avec mon père. Seul. J'avais 15 ans. Trois ans que je n'avais pas vu mes petites sœurs. Trois ans que je respirais à peine si ce n'était pour poursuivre des études qui me permettraient de me barrer une fois à la majorité, et continuer à jouer de la guitare à en perdre haleine. Je ne vivais plus que pour ça. Je m'étais découvert un talent pour la composition et mon professeur de musique avait insisté pour que j'entre dans une classe spécialisée.

Restart with Song [Publié chez Hugo Poche]Where stories live. Discover now