Love Is A Losing Game

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Après avoir littéralement senti la terre s'effondrer sous mes pieds, dans un silence de mort, j'ai attrapé mes affaires et j'ai couru. Vite et loin. Je ne pouvais pas les regarder une seconde de plus, ni l'un ni l'autre. Lui, avec son air d'imbécile hébété et elle, qui se touchait nerveusement le ventre en répétant « ce n'est pas possible ». Pauvre fille, elle ne sait pas encore qu'avec Dorian, tout est possible, surtout le pire. Pourtant, la maîtresse d'un jour doit bien se douter qu'elle deviendra probablement, au mieux, la femme trompée de demain. Surtout que, lui, il a le mensonge dans la peau. Du détail le plus insignifiant à l'essentiel. C'est une jolie carapace, pleine de charme, d'assurance et d'attention. Mais, sous le vernis, la matière n'est ni noble, ni solide. J'ai d'ailleurs cru pendant des années que je parviendrais à le sauver de lui-même. J'ai intégré, depuis, que chacun choisit la trajectoire qui lui sied. Et tout l'amour du monde ne peut rien y changer.

Dans la rue, j'ai du mal à ralentir mes pas. J'ai l'impression d'être en plein film d'horreur, monstre aux trousses. J'avale un mélange de larmes et de maquillage, en reniflant comme une Bridget Jones en dépression (pléonasme ?). Je ne cesse de me répéter que je le savais. Parce qu'il est évident qu'hier soir, si chaque parcelle de mon corps criait désir, chaque recoin de mon cerveau hurlait méfiance. Mais je ne l'entendais pas.

Dans mon éboulement général, j'ai tout de même une pensée pour ma meilleure amie, Estelle. Elle va à coup sûr m'arracher la tête si j'ose lui raconter ce nouveau chapitre – tragique – du livre que j'étais censée avoir refermé et brûlé. Je chasse l'image de son visage, énervé et déçu, collé au mien. Pas besoin d'une couche supplémentaire.

STOP.

En m'arrêtant un instant contre un poteau, pour reprendre mon souffle, je réalise que je ne vais même pas dans la bonne direction. Je suis vaguement paumée sans le sens de l'orientation infaillible de mon éditrice.

Paumée tout court.

Comment a-t-il osé ?

Mes jambes tremblent à tel point que je pourrais m'écrouler. Ah, ça, il aurait pu décrocher l'Oscar dans le rôle du mec amoureux cette nuit ! Il jouait juste, avec sa voix comme avec son corps et ses mots. Crescendo. Crédible, presque parfait. J'aurais dû flairer l'imposture ! J'ai compris depuis longtemps que sa pseudo-perfection révélait des vices plus immondes que chez les gens dont on perçoit directement les failles. Se méfier de l'eau qui dort. Se méfier de ce qui brille un peu trop. De ce qui paraît répondre à tous les critères d'une liste connement préétablie. Il n'y a pas que dans la série télé que Lucifer est charmant.

La vision du ventre rond revient me percuter. Quand je dis percuter, c'est que je sens presque la gifle, mais à l'intérieur, contre mon cœur. Ce salaud ne fait pas les choses à moitié. Il m'a d'abord brisée en faisant de moi le cliché de la femme trompée avec la nouvelle assistante. Aujourd'hui, il me range contre mon gré au rang de celle qui n'a eu que les promesses et se retrouve face aux concrétisations. Avait-elle seulement une bague au doigt ? Difficile à dire, je ne pourrais même pas décrire sa coupe de cheveux, ni ses chaussures. Je n'ai vu qu'une partie de son anatomie. Soit son ventre était trop gros, soit la bague trop petite.

En y réfléchissant, je n'imagine tellement pas Dorian lui faire sciemment un enfant. Pas à elle, pas à cette madame-tout-le-monde sans autres atours que sa poitrine XXL et sa façon de minauder, en le regardant d'en bas. Non, il n'aurait pas choisi de se reproduire avec ce néant intellectuel. Il tenait à sa descendance quand il m'en parlait. Il voulait que ses parents soient fiers de lui, de nous, de l'ensemble construit. Non, vraiment, je ne vois qu'une option : cette fille lui a fait un enfant dans le dos.

Je vacille et m'agrippe au banc le plus proche pour reprendre une contenance. Bon sang, mais pourquoi je me torture ? L'adrénaline redescendue, je n'arrive plus à bouger. Je me sens paralysée. J'ai envie de m'allonger sur ce banc, de me recroqueviller contre son assise peu confortable, de fermer les yeux et de tout oublier. Ou de remonter le temps pour éviter à tout prix ce bar. Celui qui va s'ajouter à l'interminable liste des mauvais souvenirs. Vous savez, ceux dont on dit qu'ils rendent un écrivain meilleur ? Bullshit. Je veux bien troquer quelques doses d'inspiration contre une amnésie sélective.

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