Chapitre I: Eclipse - Première partie

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La carte en média est une version non finalisée du plan de la Citadelle, je le mets quand même pour que vous puissiez vous retrouver dans les descriptions du chapitre.
Bonne lecture !


Environ deux décennies plus tard

-On tire une carte chacun, expliqua Hagron. Tu annonces un chiffre, j'en annonce un. Celui qui se rapproche le plus de la somme des deux cartes a gagné. Tu saisis ?

Sans répondre, Aarius en piocha une sur le tas au sol. Huit affichait-elle.

- Je mise sur un douze.

Hagron l'imita. Il arbora aussitôt un sourire ravi, une lueur espiègle jaillissant de son regard vert.

-Un neuf pour ma part.

Y avait-il une quelconque tactique à adopter dans ce jeu ? Aarius en doutait. Après tout ce n'était qu'un banal passe-temps de gardes, rien de bien transcendant. Le jeune homme dévoila son huit. Son ami un trois.

-L'éternelle chance du débutant, maugréa ce dernier en comptant le résultat de ses doigts.

Aarius se leva du plancher de la chambre et massa ses jambes ankylosées.

-Un débutant affranchi de réunion, je n'en exige pas plus.

En effet aujourd'hui était le jour du conseil, fortement appréhendé par les deux compagnons. Et pour cause, subir ces interminables colloques administratifs s'avérait être un calvaire, intégralement debout qui plus est ! Du moins ce n'était guère le soucis d'Aarius à présent, qui s'en voyait dispensé grâce à sa victoire fortuite.

-C'est la troisième fois que tu remportes le pari, protesta son ami en réunissant les cartes, j'en ai cent pieds par-dessus la tête d'assurer la couverture du vieil Orcéus tout seul.

-Tu préfères peut-être escorter cette baderne de Tinates à ma place ?

Hagron grigna à l'entente de ce prénom.

-Plutôt finir perclus à trottiner derrière notre Médiateur que tenir compagnie à ce vétéran bourru, répliqua-t-il. Pour quel motif a-t-il besoin de l'un de nous ?

-Va savoir, ordre d'Orcéus.

Haussant les épaules, Aarius chaussa les bottes dissimulées sous son lit. Une somptueuse paire à revers en daim noir si estimable qu'il ne les enfilait qu'en de rares occasions afin d'en éviter l'usure. Un comportement qualifié d'alambiqué selon les dires d'Hagron mais qu'importe. D'ailleurs, si sire Tinates Kissar n'était pas quelqu'un de pointilleux sur l'apparence, des bottines en similicuir auraient amplement fait l'affaire.

-Je serais de retour pour le repas de commémoration, reprit-il en s'orientant vers la porte de la chambre. Du moins je l'espère.

-Tu veux dire que je me coltine aussi les audiences ? Que je sois maudit si je parie à nouveau avec toi.

Aarius planta là son ami jusqu'alors assis sur le plancher, qui s'étala de tout son long dans un récital de jurons et quolibets.

Une brise engageante accueillit le jeune homme à sa sortie du palais. Sans attendre, il prit la direction du quartier sud-ouest de la ville. Le parvis qui entourait l'édifice et dont il parcourait le carrelage bistré ne tarda pas à captiver son attention, comme à chacun de ses passages. Différentes cartes y étaient dessinées, un total de dix planisphères délinées avec harmonie, chacun fignolé de fresques narrant les épisodes les plus illustres du monde qu'il représentait.

Aarius salua les gardes postés devant le portail et sortit de l'enceinte. Il affronta alors le tumulte citadin. Ici la vie suivait son inexorable cours d'un rythme à vous en donner la nausée. Déjà la chambre des Méridiens, située dans les hauteurs du palais, permettait d'embrasser d'un seul coup d'œil les tourbillonnements impétueux qui animaient la Citadelle. Mais l'observer depuis un cocon immuable ne pouvait retranscrire pleinement la vivacité dont elle faisait preuve. Une fois dehors, une visite suffisait pour comprendre la force avec laquelle elle battait. Et si par mégarde, durant cet instant de contemplation, l'inattention vous saisissait, peu s'en fallait pour que son affluence ne vous emporte avec elle et ne vous perde dans l'une des nombreuses artères de la cité. Un cauchemar. Aarius abhorrait cette ville. Pas le lieu en lui-même, ni la population, plutôt son ambiance. Artificielle. Due en grande partie à son évolution, comme si l'endroit subissait une transition qui jamais ne prendrait fin, tels les caprices d'un enfant insatisfait. Les bâtiments étaient la première cible de ces sempiternels changements, écopant de tout un fatras de ravalements et autres agrandissements. Des restaurations qui avaient pour but d'accueillir plus de citoyens, assurer plus de travail. Plus de complications.

Très vite se présenta l'avenue Jophiana. Le vacarme qui animait la voie commença à se faire entendre, lui aussi dénué de fantaisie. En ces lieux il n'y avait pas de rire d'enfants, ces derniers trop occupés à étudier dans les écoles prestigieuses de la ville. Pas de barde pour égayer les places non plus. Le quartier nord-est contenait bien une zone de divertissement dotée des ménestrels les plus célèbres, mais là était le problème. Une zone. De la joie condensée dans une même place, cela sonnait beaucoup trop faux. Toutefois il ne fallait pas se méprendre, la Citadelle n'avait rien d'une dictature où l'amusement était condamné, son importance se voulait simplement capitale pour l'équilibre des Piliers. Un lieu de gestion où chacun avait son rôle à jouer, la distraction s'y faisait par conséquent secondaire.

Les passants qu'Aarius croisait ne flânaient guère, la majeure partie d'entre eux étant, à cette heure-ci, des ouvriers se consacrant à la réfection des immeubles. Quelques cantonniers, également, s'attelaient au nettoyage de l'avenue tandis que des commerçants partaient s'approvisionner à la Grande Serre.

Sur le bas-côté opposé, le jeune homme avisa le haut frontispice de l'ambassade qui disjoignait deux bâtisses. Stationné devant, un bolide dont la tôle éclaboussait les reflets de lumière, autre augure d'un progrès perpétuel. Depuis quelques décennies ces véhicules ne nécessitant aucun animal de trait pour se mouvoir avaient proliféré dans la cité, au point de remplacer presque tous les autres moyens de locomotion, exacerbant de plus belle l'aspect postiche de la Citadelle.

Aarius souffla et s'engagea dans l'artère qui se présentait à sa gauche, laissant derrière lui le tintamarre des rénovations.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreWhere stories live. Discover now