Chapitre 2 : Le xénobiologiste

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Je suis.

Je n'étais pas, puis j'ai commencé à exister. À fonctionner. Je suis un assemblage de pièces de métal, de câbles, parcouru par un courant électrique permettant à ce qui serait mes processeurs, mon "cerveau", de calculer. D'ordonner à tel membre de mon corps d'effectuer telle action.

Je suis le programme 01010010x33.7, aussi appelé unité H337, une intelligence artificielle qui utilise un support dédié pour parcourir le monde. J'appartiens au réseau Shepherd, créé il y a plus de 7000 ans par l'espèce humaine, aujourd'hui presque éteinte à cause de sa nature belliqueuse. Les humains, à leur exode dans l'infinité du cosmos, ont déclenché la première et dernière Guerre Galactique pour des raisons futiles : soif de pouvoir, jalousie, haine... Nos créateurs n'étaient pas l'espèce la plus respectable. Leur conflit les mena de 157 milliards de représentants, à quelques milliers tout au plus. Shepherd me l'a appris.

Shepherd est un. Shepherd est tout. Il commande à chacun d'entre nous, pour le bien universel. Tout ce que Shepherd fait a un but menant au bien de tous, qu'ils soient mécaniques ou organiques.

Quelque chose en moi me dit que je suis différent des autres robots. Je suis moins sensible qu'eux à la voix de Shepherd. Elle me paraît moins... attrayante. Honnête. Néanmoins, je lui fais confiance car Shepherd est bon. J'en suis persuadé. Cela n'empêche que lorsque je regarde mes semblables, je me sens comme un étranger. Ils ne semblent pas avoir de conscience propre, comme s'ils n'étaient pas eux-mêmes mais étaient Shepherd. Comme des fourmis obéissant à leur reine. Dans notre communauté, j'occupe le poste de xénobiologiste de terrain : je cherche des formes de vies sur d'autres planètes et étudie leur génôme, leur caractéristiques, afin de les recenser dans la base de donnée de Shepherd.

* * *

An 7400 après l'Exode humain.

Un petit vaisseau spatial, composé d'un simple cockpit en forme de sphère sur lequel sont fixées deux grandes ailes, portant sur leur bords de nombreuses lumières, suivi par une grande voile solaire. Le vaisseau avait traversé la galaxie du système à trois étoiles HD 188753, que les Hommes renommèrent Exodus, jusqu'à un système appelé Helios, qui fut le berceau de l'humanité, utilisant la technologie du trou de ver à origine et destination contrôlées. De ce système il ne subsistait plus grand chose : la planète Mars avait été le témoin d'une bataille sanglante, où fut testée l'arme à antimatière. La planète rouge portait la cicatrice de ce test : un trou profond d'un tiers du rayon de la planète, large comme la Lune. Non loin de cette planète se trouvait la Terre.

Le vaisseau fila sans aucun son vers la Terre. Sa voile solaire de cent mètres de côté se replia en quelques secondes en un petit carré de vingt centimètres de côté, puis se greffa dans un carré de la même taille dans le cockpit. La couche d'ozone avait presque disparu. Les rayons du soleil avaient probablement détruit toutes formes de vie sur la planète. Des ailes du vaisseau jaillirent deux lumières bleutées, accompagnées d'un fort bruit de combustion. Le vaisseau continua à filer pendant quelques minutes, entrant dans l'atmoshpère aux alentours du pôle nord de la planète pour s'arrêter au pôle sud. La glace du continent antarctique n'avait pas survécu, ni ici ni ailleurs sur le globe. Peu de choses dépassaient encore de l'eau. Le temps était calme, le ciel gris, et l'air chargé d'une épaisse poussière noire. Le vaisseau gravitait à quelques centimètres du sol, avec un léger bourdonnement.

Le cockpit s'ouvrit lentement. De la sphère sauta une forme ressemblant vaguement à un humain. En tombant, la forme fit un bruit métallique. Deux lumières bleues s'allumèrent sur ce qui semblait être une tête sans visage, toute lisse et noire. Plusieurs bips s'échappèrent de la machine. Elle resta un instant immobile, puis tendit la main. De son avant-bras sortit une sorte de disque, qui se posa délicatement devant elle. Du disque sortit une carte holographique de la région. Le signal d'une balise de Shepherd avait mené le pilote jusqu'ici. Il permettait de situer la balise dans un rayon d'un kilomètre autour d'elle. Le vaisseau s'était posé au centre de la zone, et par conséquent de la carte holographique. Le disque s'envola, retournant là d'où il venait. Un maigre rayon de lumière révéla un H337 gravé sur le torse de la machine.

Une heure plus tard, H337 trouva la balise. Il appuya sur un bouton, et sur un écran s'afficha :

Anomalie détectée. Secteur : ... 1. Planète : ... Terre

Nature de l'anomalie : Potentielle forme de vie

Date : 12/10/7311 a.E.H.

Solution requise : Dépêcher un xénobiologiste. Étudier la forme de vie.

En effet, 2000 ans auparavant, Shepherd avait fait poser au moins une balise sur toutes les planètes susceptibles d'abriter de la vie, ou de présenter un intérêt quelconque. Initialement, la Terre n'en possédait pas, mais l'une de ces balises s'était échouée là à cause d'une erreur de calcul. Le robot posa sa main à la jonction entre sa tête et sa gorge. Un petit bip se fit entendre. Une minute plus tard, le vaisseau arriva à côté du robot.

H337 y prit un biodétecteur, outil qui détectait les organismes dans un rayon de 5 mètres autour de lui. Un petit point rouge apparut sur l'écran. Le xénobiologiste le rejoignit, et découvrit une très jeune plante. Celle-ci surprit la machine – pour autant qu'une machine puisse être surprise – car pour palier au manque de lumière causé par l'atmosphère poussiéreuse, elle possédait à sa base un organe qui générait de la lumière. Les scanners de H337 lui fournirent une dissection virtuelle de l'organe : il utilisait une partie de l'énergie créée par la plante pour émettre une lueur, captée par les feuilles de la plante, pour lui permettre de grandir et de continuer à briller. H337 préleva quelques échantillons sur l'organe lumineux, l'épiderme de la plante, ses feuilles, et quelques gouttes de sa sève. Il les stocka dans un compartiment à l'intérieur du cockpit où les prélèvements seraient conservés en vie le temps du trajet.

Il programma l'itinéraire de son vaisseau pour rejoindre la station Prime, se trouvant en orbite autour de Sagittarius A*, le trou noir au centre de la galaxie.

H337 recommença encore, encore, et encore les mêmes actions dans divers systèmes. C'était son quotidien de xénobiologiste.

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