Chapitre 3

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 Une voix nasillarde me tira de mon sommeil. Les yeux clos, je tâtonnai du bout des doigts la table de chevet à la recherche de mon téléphone portable. Une fois la main dessus, je glissai l'index sur l'écran tactile pour mettre fin à ce vacarme assourdissant. Le silence reprit possession de ma chambre, mon visage crispé se détendit et le sommeil me rattrapa au pas de course.

Neuf minutes plus tard, rebelote ! Je poussai un grognement sourd. Ils appelaient ça chanter ? Le terme brailler aurait mieux convenu. Cette fois, je plongeai la tête sous mon oreiller et tirai la couette par-dessus. La voix était toujours présente, mais bien moins perceptible.

— Savannah ! s'époumona ma mère du bas de l'escalier.

La tête toujours sous l'oreiller, je marmonnai une réponse à peine audible.

— Savannah ! renchérit-elle.

Je repoussai, d'un geste brusque, la couette au bout de mon lit, jetai mon oreiller contre la porte et me redressai, exaspérée, pour mettre un terme à la cacophonie qui s'échappait du haut parleur de mon smartphone. Les cris de ma mère m'avaient plus hérissée qu'autre chose. Je n'avais pas besoin de son intervention pour me réveiller. Elle n'était à la maison que trois matins - quatre au plus -, je me débrouillai très bien toute seule le restant de la semaine.

— J'arrive, bon sang !

Pour le coup, j'avais carrément aboyé.

Une fois passée le pas de la porte de la cuisine, ma mère ne me fit aucune remarque quant à mon comportement désobligeant. Il fallait dire qu'elle avait l'habitude de mes sautes d'humeur matinales. À la place, elle me tendit une tasse de café fumante, un sourire sur ses lèvres rouges cerises. Le café, c'était magique sur moi : deux petites gorgées, et hop, le traditionnel brouillard de l'aube se dispersait.

— Il faut que j'y aille, je vais être en retard sinon, déclara-t-elle en consultant la montre qui épousait les courbes de son poignet. Surtout, s'il y a quoi que ce soit, tu n'...

— Je n'hésite pas à appeler Rosa, l'interrompis-je d'une voix lasse. Et je n'ai ni le droit de sortir les soirs de semaine, ni le droit d'inviter des personnes que tu ne connais pas à la maison.

À chaque nouveau départ c'était le même refrain. Ma mère culpabilisait à l'idée de laisser seule une adolescente de dix-sept ans pendant plusieurs jours. Les premières années de notre emménagement, Rosa, ma nounou, m'avait gardé quand elle travaillait. Mais depuis mon dernier anniversaire, ma mère avait accepté - pour mon plus grand plaisir - que je me débrouille seule. Au début, ça n'avait pas été chose aisée de la convaincre. Mais après un long débat, elle s'était laissée persuadée par mon argument final, concernant le trou financier occasionné par le salaire de Rosa.

— Ah, j'oubliais ! ajoutai-je ne lui laissant aucune occasion de s'exprimer. Je ferme la porte d'entrée à clé dès que je m'absente. Ne t'inquiète pas maman, tout va bien se passer, comme toujours.

Satisfaite de ma réplique, elle positionna son calot sur son chignon, m'embrassa brièvement la joue et partit pour l'aéroport de Pittsburgh.


🌓


Une heure plus tard, le bus scolaire se gara sur le parking du lycée. Ce lycée était très bien réputé, beaucoup d'élèves venaient de villes plus ou moins reculées pour le côtoyer. Je n'osais même pas imaginer le temps qu'ils perdaient chaque jour dans les transports en commun. Moi même, résidante de Chestown - certes, très excentrée, mais tout de même à Chestown -, je passais une demi-heure tous les matins et tous les soirs dans le bus. Et pourtant, je n'étais qu'à dix minutes en voiture de l'établissement, mais mon arrêt de bus était le premier d'une longue liste de desserte. 

Je me dirigeai vers mon premier cours de la journée : histoire américaine. En entrant dans le bâtiment principal, je manquai de percuter un immense bougeoir en bronze. Avec sa décoration atypique, principalement faite d'objets du 18ème siècle, le lycée de Chestown ressemblait à quelque chose entre le musée et la boutique d'antiquité. Un poil rococo.

Lexi était déjà installée, le nez plongé dans son livre de cours. Je m'installai à ma place habituelle, à côté d'elle.

— Alors, ce repas de famille ? lui lançai-je.

— Ne m'en parle pas, se renfrogna-t-elle. J'ai dû prendre au moins trois kilos en une journée ! Je n'ai même pas eu le temps de réviser pour le test...

Sur ces propos, le professeur nous distribua les copies. Il lança un regard désapprobateur vers le bouquin de Lexi, que cette dernière s'empressa de glisser dans son sac.

Quand la sonnerie eut retenti, je me dirigeais l'esprit confiant vers le bureau du professeur, satisfaite de la copie que j'y déposais. J'avais révisé assidûment, et mes efforts seraient récompensés. J'étais toujours très confiante quant à mon travail scolaire, mais ce n'était pas le cas de tout le monde, comme Lexi par exemple, qui jurait entre ses dents en sortant de la salle.

Nous nous dirigions vers la salle d'informatique pour notre second cours de la journée, lorsque j'aperçus au bout du couloir un garçon franchir la porte des toilettes. Déconcertée, je clignai rapidement des paupières. Cette silhouette échevelée ne m'était pas inconnue. Les yeux bleu-acier du New Fifties ? Je secouai la tête. Ça ne pouvait pas être lui, je l'aurais tout de même remarqué s'il fréquentait notre lycée. Les commérages des filles faisaient rapidement le tour. Et nul doute qu'un garçon comme lui suscitait de sacrés bavardages.


🌓


La journée passa et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je me retrouvais assise au premier rang du dernier cours de la journée. Cette plage horaire était réservée au cours optionnel, la littérature pour ma part.

— Sortez votre livre de Francis Scott Fitzgerald je vous prie, intima le professeur Anderson de sa voix haut perchée.

Nous étions au début du troisième roman de cet auteur, intitulé Gatsby le Magnifique. Ce bouquin était le reflet des années folles américaines, une époque d'insouciance que j'admirais.

— Avant même de continuer la lecture du roman, nous allons placer rapidement le contexte des années vingt.

Le professeur Anderson n'eut pas l'occasion de poursuivre que retentirent trois coups secs à la porte.

— Entrez ! clama-t-elle au moment où la porte s'entrouvrait. Ah... vous devez être Monsieur Reed.

Mon regard bifurqua vers l'élève en question. Lorsque je décelai la couleur de ses yeux, je manquai de m'étouffer. Le garçon du New Fifties ! C'était donc bien lui ce matin dans les couloirs. Instinctivement, je me tournai sur ma droite guettant la réaction de Lexi, mais je me retrouvai face à un autre élève. Évidemment, ne suivant pas la même option, Lexi était actuellement en salle de droit. Déçue d'avoir été coupée dans mon élan, je me recentrai sur le garçon.

Il n'eut pas le temps de certifier la déduction du professeur, que cette dernière renchérit un octave au-dessus.

— Premier jour et vous êtes déjà en retard ? Je vous suggère de vous reprendre, et vite. Je ne tolérerai pas ce genre de comportement.

Le t-shirt blanc du nouvel arrivant laissait transparaître une carrure athlétique, je ne pus m'empêcher de fixer son torse sculpté. Je secouai résolument la tête pour récupérer ma dignité qui gisait à même le sol. Toutes les filles étaient pendues à ses lèvres, la bave présageant de perler au coin de leurs lèvres. Il ne put contenir un petit sourire satisfaisant face à tant d'ardeur. Ce genre de mec connaissait ses atouts et en jouait. Il ne pouvait faire qu'une bouchée de ces filles en chaleur. Un seul mot et elles auraient obtempéré. Très peu pour moi merci. Il avait beau être aussi sexy que de nombreux personnages de mes romans, la beauté ne faisait pas tout. Je n'étais absolument pas ce genre de filles qui le considéraient comme un morceau de viande des plus tendres. En l'occurence toutes les autres personnes dotées d'un vagin dans la pièce - je suspectais même quelques garçons -, à l'exception du professeur Anderson dont les petits vaisseaux rouges de ses yeux manquaient d'éclater d'un instant à l'autre. C'était le cas de le dire : elle voyait rouge.

Les hurlements de la nuitWhere stories live. Discover now