Nuit 2 ~ partie 7

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          Dépitée, je m'assieds sur un banc dans un parc sombre, à la lumière d'un lampadaire. Ça fait une demi-heure que je marche dans les allées pavées. Ma cheville me fait trop mal et je perds littéralement patience.
     Je me suis perdue dans les dédales de rues désertes. Elle se ressemblent toutes et la seule trace de vie que j'ai croisé était celle d'un chat de gouttière. Agressif, en plus.
Je ramène mes genoux contre mon buste.
Ce village n'est pas si petit que ça, finalement.

     Je m'efforce de trouver une position adéquate sur ce tas de ferraille verte. Ce village est lugubre, désert et inconfortable ! Franchement, je suis bien tombée.

     De l'autre côté de la rue, un restaurant ferme ses portes. Quelques gouttes de pluie commencent à tomber ; je vérifie que mon portable est bien à l'abri dans la poche de mon sweat. Un soupire las s'échappe de mes lèvres.
     Je regarde d'un oeil vitreux les fenêtres illuminées du restaurant. C'est désormais un rideau de pluie qui s'étend sous le halo des lampadaires. Les gouttes trempent peu à peu mes cuisses, mes bras, ma capuche, la mèche de cheveux qui s'aventure sur mon front. Je suis la meilleure pour me fourrer dans des situations pas possibles, même quand j'en recherche les solutions...

     Je ferme les yeux, la main tremblante pressée contre ma cheville. J'aime la pluie, j'en ai marre de devoir supporter la douleur, je crève de froid et je n'ai plus la force de reprendre ma route afin de trouver un abri.
     Je pense à un bon chocolat chaud. À son odeur qui vient je chatouiller les narines. À la brûlure du mug blanc sur mes paumes. À une main chaude et apaisante glissée dans ma nuque, dont le ou la propriétaire attentive écoute tout ce que j'ai à dire.
La peine que je ressens, la distance entre mon frère et moi, celle qui me sépare de ces inconnus chez qui je dors.
Tous les "pourquoi" et les "comment" qui se bousculent dans ma tête. Est-ce que ma noyade n'était qu'un long cauchemar ?

     Le claquement d'une porte dans le lointain me fait ouvrir les yeux, fébrile. Je porte une main à mon front brûlant et regarde de tous côtés, cherchant l'origine du bruit. J'ai de la fièvre.

     Et ça y est, je le vois.
Ce doit être un serveur. Je me redresse sur le banc ; il semble se débattre avec un trousseau de clés.

     Je me lève difficilement et commence à avancer sur le chemin goudronné, puis dans l'herbe. Ma vue se brouille un instant, je me suis levée trop vite.

     Je marche comme je peux, les yeux fixés sur le jeune homme.
Il a trouvé la bonne clé et la tourne deux fois dans la serrure.
La vision gênée à cause de la pluie, je vois ses cheveux former une masse grotesque sur l'arrière de sa tête. Me rappochant peu à peu, je comprends que ce sont en réalité des dreadlocks attachées de manière aléatoire en une queue de cheval.

     Il range le trousseau dans la poche son sac à dos. Lui aussi va finir complètement trempé.
J'accélère un peu, serrant les dents sous la douleur lancinante.

     Il sort un second trousseau de son sac.
Mon cerveau à deux de tension ne comprend pas tout de suite le pourquoi du comment.
Mais lorsque le métisse tend le bras et que les phares d'une voiture grise se mettent à clignoter, c'est comme si mes neurones se remettaient en marche à la vitesse d'une ampoule qui s'allume.

Là, il y a urgence.

      ─ Attends...!

Ma voix enrouée se perd dans le clapotement de la pluie sur les feuilles des arbres du parc et les toits des voitures.

WATER daughtersWhere stories live. Discover now