Chapitre 6

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"Promenons-nous dans les bois, tant que le loup n'y est pas. Si le loup y était, il nous mangerait"


La fraîcheur du matin mordait mes mollets. Elle me sautait au visage et me coupait le souffle, me donnant l'impression de respirer de la glace. Je craquais la fine couche translucide qui recouvrait la végétation avec mes bottines. Je venais à peine de les acheter et je les emmenais déjà en expédition dans la forêt. Les arbres sombres me surplombaient de toute leur hauteur. Je ressentais un étrange sentiment de liberté. J'étais perdue en pleine forêt, au milieu de tout et de rien, au centre d'une biodiversité extraordinaire. Rien n'est impossible dans ces moments là. On pourrait s'attendre à voir un cerf débarquer. Mais bien sûr, les animaux sauvages ne s'approchaient pas des hommes, c'était bien connu. J'entendais les craquements du sous-bois, les bruissements de feuilles, le vent qui agitait les cimes. J'entendais la forêt respirer. Je la sentais vivre. Mon cœur battait au rythme d'un métronome et résonnait au milieu de ce calme. La liberté. La brise qui passe dans tes cheveux, le froid qui te fais te sentir vivant. Je respirais pleinement, remplissant mes poumons au maximum de cet air pur. Je me mis à courir, ignorant la douleur produite dans mes chevilles. Je voulais garder ce sentiment de plénitude en moi, ce sentiment grisant qui nous faisait croire que l'on pouvait tout. À cet instant j'aurais pu sauter d'une falaise, j'aurais pu me croire invincible, j'aurais pu croire que je volerais. Les brindilles fouettaient mon visage, les ronces écorchaient mes genoux. Je m'en fichais. Je voulais me sentir immortelle. 

Cette racine. Maudite racine. Je m'étalais de tout mon long dans le tapis de feuilles humide de rosée. Ma tête heurta le sol. Je ressentis la douleur se propager en moi. Mon cœur se mit à battre la chamade. Ma respiration saccadée s'affola de plus en plus. Je n'arrivais plus à reprendre mon souffle, le monde tournait tout autour de moi. Les arbres s'agitaient anormalement sous mes yeux confus. Puis l'inconscience, encore..

La douleur qui me vrillait le crâne était si intense qu'elle me tira à elle seule de mon pré-coma. J'étais encore allongée au milieu des feuilles. Mes habits étaient imprégnés d'humidité, je frissonnais. Il faisait généralement chaud en cette saison mais cette matinée était particulièrement glaciale. J'ouvris les yeux. Le ciel était lumineux, presque banc. Je portais une main à mon front. Apparemment les points de sutures à mon front n'avaient pas tenus. Un liquide chaud et visqueux coulait le long de mon visage et tâchait le sol de verdure. Du sang. C'est pour ça que mon mal de crâne réapparaissait subitement? Parce que je suis tombé? Je sentis immédiatement que de me remettre sur pied serait une chose difficile. Il fallait d'abord réussir à bouger plus que le bouts des doigts. Au bout d'efforts douloureux je parvins à me mettre assise. Mes paumes ensanglantées laissaient de jolies traces sur le sol. C'est en voyant le sang rependu près de moi que la crainte me prit. Les dangereux prédateurs sont toujours attirés par le sang frais. Des dizaines de loups devaient déjà être en chemin, guidés par la délicieuse odeur de sang. Et qui sait quels autres animaux sauvages pouvaient être tapis dans les sous-bois? Des prédateurs de taille monstrueuse? Comme l'animal que j'ai renversé l'autre soir? Je frissonnais, il fallait absolument que je bouge de là. Il fallait que je rejoigne un sentier, une route, une maison. Il fallait que j'aille chez ma grand-mère. J'avais un mauvais pressentiment. 

Sans attendre une minute de plus je me levais et, non sans difficultés, me remis à marcher. La tête me tourna tout de suite. Ma vue se brouilla. J'ignorais ces détails et, déterminée, je m'enfonçais plus profondément dans la forêt.  

C'est avec une grande joie que j'accueillis le bruit des gravillons sous mes bottines. Un sentier, enfin! La cime des arbres se dégageait pour laisser place à une grande clairière. Clairière ou prairie d'ailleurs? Je ne voyais pas plus loin. Un chemin se glissait entre deux haies bien taillées et je décidai de le suivre. Le sol était recouvert d'une herbe rase parsemé de roses odorantes. Les haies engloutissaient tout ce que je pouvais voir du paysage. Elles étaient beaucoup plus grandes que moi et pourtant leur sommet était impeccablement coupé à l'horizontale. Le petit sentier se poursuivit jusqu'à un grand portail en fer forgé. Des fleurs de lys ornaient le dessus. Je poussais la grille et continuais mon infiltration. Des fontaines représentant des femmes-poissons-sûrement taries depuis fort longtemps-se bousculaient sur les cotés. Enfin, devant moi, je pus voir une impressionnante baraque. De style victorien, elle se tenait majestueuse entourée de deux saules pleureurs.  Qui avait eu la si bonne idée de se perdre en pleine forêt pour élever une maison de cette taille? 

Levant les yeux, je continuais de détailler la  villa, dont il me semblait entrevoir la splendeur passée. Elle était de couleur blanche et les fenêtres reflétaient milles reflets du soleil. "Le propriétaire aurait dû choisir une couleur encore plus discrète" pensais-je sarcastiquement. Encore faut-il qu'il y ait un propriétaire. Seule une partie de la maison se fondait vers la végétation. En effet la nature semblait reprendre ses droits et tenter d'abaisser elle-même ce bâtiment victorien. Le lierre grimpait jusqu'au toit sur le coté gauche, contrairement à tout le reste de la maison qui était impeccablement entretenu.  De multiples détails et balustrades sculptées ornaient de magnifiques balcons et fenêtres. Une petite tour s'ouvrait en son sommet en une sorte de kiosque. Qu'il serait agréable d'y être.. De dominer la forêt.. Voir aussi loin que mes yeux me le permettraient.. Me repérer dans cette forêt infinie.. 

Tout à coup, je tressaillis. Il me semblait avoir aperçu du mouvement derrière l'une des fenêtres à l'étage. J'avais la désagréable impression que quelqu'un ou quelque chose me fixait depuis mon arrivée, dissimulé par la vitre noire. Mais peut-être n'avais-ce été que le fruit de mon imagination? Le stress aidant, mon esprit s'imaginait-il de multiples moyens de me persuader de rebrousser chemin? Non, c'était sûrement un rideau poussé par le vent que j'avais vu et cette maison était totalement vide. 

Un porche accueillant s'ouvrait à moi comme s'il me tendait les bras. Je continuais donc d'avancer, ébahie par la hauteur et la beauté de la maison et ignorant mes désagréables impressions. Des buissons fleuris et colorés accompagnaient mon infiltration, dressés comme des gardes sur les bords du chemin qui menait droit à une grande porte en bois peinte en blanc. La face d'un lion était accroché sur cette porte d'entrée. Effectivement, une sculpture féline recouverte d'or tenait dans sa gueule un imposant heurtoir. Devais-je toquer avant d'entrer? Ou cela mettrait-il en péril mon infiltration? Devais-je annoncer à l'ombre de la fenêtre que j'allais pénétrer dans son antre? 

Je décidais de ne pas déclarer ma présence. Ils me remarqueront déjà..si ce n'est déjà fait. Et puis j'ai toujours été malpolie. Je posais ma main sur la poignée et entamais ma violation de domicile. 


Chers fidèles lecteurs, je vous remercie de votre patience :)

LoupWhere stories live. Discover now