Mathis ne percevait rien de ses bruits de pas ou du raclement de sa valise sur le béton.
Ses écouteurs vissés dans ses oreilles étaient réglés à fond sur Trespassing d'Adam Lambert, et il ne pouvait s'empêcher de fredonner depuis qu'il était entré dans son quartier lugubre. Un moyen comme un autre de cacher le sentiment de gêne mêlé d'angoisse qui l'assaillait.

En cette nuit d'Halloween, les rues mal famées étaient encore plus effrayante que d'ordinaire. Il était plus de minuit, le ciel était couvert et le souffle du jeune homme projetait un nuage blanc devant lui.
Sous le faible halo de lumière des réverbères, ses yeux cherchaient furieusement un élément rassurant à travers les barres d'immeubles sales, les poubelles renversées qui faisaient concurrence aux voitures vandalisées. Mais le plus terrifiant restait les drogués qui dodelinaient de la tête près des portes d'entrée et les passant déguisés aux regards éteints à cette heure de la nuit. Mathis avait toujours pensé que les gens étaient plus effrayant que les objets et les animaux, et en cet instant il ne pouvait que ce donner raison. Les regards, les rictus, les tics... Il avait toujours trouvé ça terrifiant.

Il avait tellement hâte de retrouver Margaux, sa petite-amie qui l'attendait dans leur appartement, que son coeur battait la chamade. Ou peut-être était-ce juste la peur. Il n'avait jamais été très superticieux, n'avait jamais craint les clowns plus que de raison, mais sans qu'il sache pourquoi, marcher la nuit dans la ville lui filait une trouille monumentale. Pourtant ils n'avaient pas hésité, quand ils avaient visité leur futur logement. Margaux était tombé sous le charme des rues si perturbantes qu'on se croirait dans un film d'épouvante, elle avait dit.
Mathis était tombé amoureux du loyer, et de toute façon, il savait que pour sa santé, il était mauvais de contredire son amour. Alors ils avaient signés, et n'avaient entendu qu'une fois tout les cartons déballés les rumeurs de meurtres, de gangs et de disparitions que trainaient. Le brun avait tenté de raisonner sa blonde, mais sans espoir, elle ne trouvait ça que plus excitant. La jeune femme avait toujours été un peu tordue de toute façon.

Le jeune homme arriva devant son chez-lui. Il soupirai en tapant le digicode et entra dans le hall, avant de se diriger vers les escaliers. Dans son immeuble délabré, le premier étage sentait le curry. Le second sentait le parfum, le troisième sentait la mort. Le quatrième, le sien, sentait le poisson. Assurément, le jeune homme savait que cela ne pouvait pas venir de chez lui, il valait trop bien pour ça.

D'ordinaire, il y avait toujours des petits bruits. Le bois qui craquait, de l'eau qui gouttait. Mais là, rien. Du silence, rien que du silence.
De toute façon, avec le roulis de son bagage et la même musique à fond dans ses oreilles, il n'aurai rien entendu.

Il déverrouilla la porte. Rentra. Retira un écouteur de son oreille, avant d'appeler :

« Margaux ? »

Il maudit sa petite-amie de ne pas répondre, de ne pas se jeter dans ses bras comme il l'avait prédit. Parfois, il était beaucoup trop fleur bleue, beaucoup plus que son amie. Elle qui adorait les histoires d'horreur, qui faisait trembler le soir, lui qui préférait de loin les comédies sans saveur ni surprise. Sans sentiments.

Mathis déposa ses chaussures à l'entrée, jeta sa veste sur un coin de la table à manger.

Celle-ci cliqueta par ses fermeture, puis heurta un objet sur la table. Elle tomba, emportant la chose qui s'écrasa lourdement sur le sol, provoquant un terrible bruit de verre brisé.

Après avoir lâché un juron peu élégant, l'amoureux de la tranquillité alluma la lumière, puis se baissa pour ramasser son vêtement et le quoi-que-ce-soit s'étant écrasé.

Avant tout geste, la première chose qu'il vit fut la flaque rouge sang étalée sur le sol. Mais qu'avait-il brisé ? La main tremblante, il approcha un doigt du liquide. Son coeur battait la chamade.

Un centimètre, deux centimètres, trois centimètres... C'était du vin.

Avec un soupir soulagé, il leva les yeux aux ciel. Mais ne les redescendit pas tout de suite.

Son regard avait croisé celui d'une horrible poupée de porcelaine.
Le teint blafard, un sourire figé, des anglaises trop épaisses, une robe digne d'un asile des séries des 90', mais surtout, surtout, des yeux sans vie, sans tain, rouges brillants, d'une couleur à glacer d'effroi.

Ils passèrent de longues secondes, les yeux dans les yeux. Puis lorsque le rythme du coeur de notre protagoniste revint à la normale, il se releva et se dirigea vers la chambre à coucher de son logis. Là où Margaux dormait, sûrement.

C'est en tournant la porte du couloir que l'odeur métallique parvint à ses narines. À ce moment là, Mathis ne se doutait pas de ce qu'il allait trouver dans sa chambre. Il pensa à une expérience de Margaux. Cela n'aurait pas été la première fois qu'elle emplissait l'appart' d'une odeur bizarre. En plus, c'était Halloween, non ?

Il entra dans la chambre. Sa main chercha l'interrupteur quelques instant, puis la lumière fut. L'ampoule crépita un instant avant de s'arrêter sur une faible lumière, projetant partout de menaçantes ombres de son halo doré.

Il parcourut la pièce de ses yeux bruns, puis tomba sur le lit. Un corps y reposait, immobile. Il n'en distinguait que l'épaisse chevelure blonde, celle qu'il connaissait si bien. Puis il devina des épaules minces, une poitrine menue sous la couette.

Puis il s'arrêta d'imaginer.

Il s'arrêta de respirer.

Il commença à pleurer.

Là, sous ses yeux, à l'endroit parfait où battait un coeur quelques jours plus tôt, s'étalait une tâche de sang frais, qui s'étendait inévitablement.

Il se précipita vers son amour, aussi vite que sa stupeur le lui permettai.

Mais il ne franchit jamais les quelques mètres qui les séparaient.

Car à seulement vingt centimètres du matelas, une main surgit de sous le lit et lui tira la jambe.
Mathis glissa, si fort que sa tête heurta la moquette, elle aussi imbibée de liquide rouge.

Il retint son souffle lorsque la silhouette se tira de sa cachette, dissimulée par une capuche noire.
Les doigts de la créature pianotèrent sur sa jambe, avant de remonter sur sa cuisse, sur son torse, ses épaules, son cou.

Le jeune homme était tétanisé, paralysé par la peur.

Puis le monstre du lit se baissa, avant de murmurer à l'oreille de Mathis, de son haleine putride :

« Joyeux Halloween ! »

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