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Tu sais, t'étais pas mal laide enfaite, un teint blafard, avec des cheveux noir coupés courts et en bordel, une pathétique frange même pas droite, et puis tes cheveux on aurait dit d'la paille — mais d'la paille noire évidemment. Et tes yeux bridés, blancs, terrifiant, ouais putain, ils faisaient carrément peur même, et pourtant j'les aimais bien quand même, c'était une façon de dire « vas te faire foutre la société » parce que t'avais pas les yeux bleus, marrons, vert ou même gris, nan toi tu les avais blancs, t'y voyais pas pour un sous, mais toi tu les avais blancs, et c'était aussi un peu comme si toute la paix du monde était enfermée dans tes yeux, parce que t'étais tellement paisible et tranquille, moi à ta place j'te jure que j'en aurais tellement voulu au monde et à la vie, parce que t'y voyais rien et qu'on te voyait pas non plus. Tu mangeais toujours du riz, j'sais pas comment tu faisais, c'est dégueulasse le riz, une asiatique — pour pas dire « chintok » — banale tu m'diras.
Mais il y avait ton rire, qui t'donnait cette touche plus gaie et un peu plus colorée et qui était capable de r'faire le monde en un éclat, limite on aurait pu dire qu'j'étais pas tomber amoureux d'toi, mais amoureux d'ton rire, et ça dans l'genre jeune pathétique dépressif en peine d'amour, ça a du niveau quand même.
On trainait toujours avec ma p'tite bande composés exclusivement de mecs, histoire de dire qu'on était misogyne, tu parles, toujours à matter les paires de seins, à droite, à gauche et à s'lamenter en s'demandant si on finira bel et bien vieux pervers célibataire, s'mattant des films pornos, histoire de pas finir trop rouillé si une occasion finissait pas s'présenter. On était une belle bande de bledars, et j'crois qu'le pire c'est que ça nous dérangeait même pas.
Ces salops t'oubliaient toujours, alors ils proposaient un football ou un baseball, voire du patinage — c'était réellement pathétique, et on pourtant j'vous jure qu'sur le moment c'était l'éclate, et le bordel. — selon l'humeur d'la journée et d'la météo aussi.
Alors toi tu leur lançait un r'gard noir, mais l'ironie du truc c'est qu'avec tes yeux blancs, on y croyait pas trop à c'regard. Alors c'soir là, quand tu nous l'a lancé et qu't'es partit en disait qu't'allais t'jeter sous un train, on y a pas cru, et j'me dis qu'au final on aurait p't'être pas dû te laisser partir sans ta canne blanche avec ce genre de pensées morbides. Mais maintenant c'est un peu trop tard, et j'suis seul avec mes r'grets digne d'un dépressif, à m'lamenter sous cette satanée pluie, dans c'fouttu cimetière qui me terrifie, et ça m'fous clairement les boules.

avrilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant