CHAPITRE 1 - Segger [1|3]

2.6K 260 1.4K
                                    

Avril 2010...

Au milieu des forêts de sapins et de conifères, se tenait une grande bâtisse qui s'étendait sur un large espace. Entouré d'une haute façade grise, ce bâtiment pouvait facilement s'apparenter à une prison, tant l'entrée était inaccessible. Ses deux accès en attestaient.

Au nord, un grand portail, noir comme la porte de l'Enfer, régulait les entrées du personnel. À l'opposé, une barrière haute de trois mètres assurait les arrivées et les départs des camions de marchandises. De chaque côté, deux hautes tours, semblables à des miradors, se dressaient juste à proximité des entrées. Là-haut, des hommes contrôlaient d'une poigne de fer les allées et venues des véhicules qui s'aventuraient dans le domaine.

Sans possession d'un badge qui prouvait son adhésion au centre, aucun individu ne pouvait accéder au site. Y entrer sans cette carte magnétique se révélait ainsi être un défi que personne n'avait encore tenté de réaliser. Toutefois en sortir était encore plus compliqué qu'on aurait pu l'imaginer...

Ce bâtiment était mon centre, un lieu dans lequel je me battais corps et âme pour résoudre des mystères scientifiques depuis des années. J'aimais comprendre, trouver des réponses aux questions qui n'en avaient pas, étudier un peu de tout. L'astrologie, la biologie, et surtout tout ce qui touchait de près ou de loin aux phénomènes paranormaux.

Enfant, je rêvais d'explorer l'inaccessible, d'aller au-delà de ce que nous étions capables de voir. L'espace en faisait partie, mais aussi tout ce qu'on ne voyait pas d'ici, sur notre petite planète perdue dans l'immensité de la galaxie. Je rêvais aussi de trouver des réponses. Sur cette personne qui, durant mon enfance, avait eu la chance d'obtenir des capacités magiques que je n'avais jamais su expliquer. Et je pouvais affirmer sans difficulté qu'elle était celle qui m'avait lancé dans ce projet d'études.

Il y avait deux étés de cela, la NASA avait découvert qu'un astéroïde, du nom de 2008-KV2, s'approchait dangereusement de la Terre. Le risque se répétait apparemment tous les quatre ans et avait lieu depuis des siècles. Il fallut cependant attendre cette année-là pour s'en rendre compte.

Un météoroïde, un fragment de cet astéroïde, s'était détaché du corps céleste et était entré dans l'atmosphère terrestre, attiré par la gravité. S'étant totalement consumé à son passage dans la couche gazeuse, ce morceau avait été identifié par la NASA et avait laissé derrière lui, comme seule preuve de son existence, une pluie de météores qui s'était écrasée un peu partout dans le monde. La National Aeronautics and Space Administration avait donc classé cet événement parmi les dix-sept autres survenus dans les cinquante dernières années et l'avait appelé « Phénomène Sigma ».

Parallèlement, au cours de cette année-là, il y eut ce reportage dans le journal télévisé qui attisa ma curiosité. L'histoire de deux enfants, deux jumeaux. Une fille prénommée Seana et son frère du nom de Léo. Par accident, ils auraient, a priori, on ne sait par quel moyen, emmagasiné toute l'électricité de leur ville dans leur corps et auraient été retrouvés morts le lendemain.

S'agissait-il d'un vil canular ?

Les vidéos enregistrées par les caméras de leur commune avant la rupture électrique soutenaient la véracité des propos...

Scientifiquement parlant, le phénomène était impossible. Mais je voulais pourtant comprendre. Et même si cela me demandait de sortir de mon cadre d'études de prédilection, je restais persuadé que l'apparition de ces deux événements n'était pas qu'un simple concours de circonstances.

Le hasard existe-t-il vraiment ?

J'en doutais.

Au souvenir de ces années, je ne pus m'empêcher de sourire. La vie nous garantissait bien des surprises et j'étais loin de savoir qu'elle m'en réservait encore. Je m'assis sur mon siège en cuir face à mon bureau, écartai d'une main les crayons éparpillés et sortis, d'un de mes tiroirs fermés à clé, un petit cahier noir. Ce dernier me laissait pensif. Je fis tourner le siège et levai la tête vers la baie vitrée qui me faisait désormais face.

Les sapins s'étendaient à perte de vue dans les hauteurs et les montagnes s'élevaient sur une immense parcelle du paysage, coupant de leur sommet le ciel nuageux. D'après mes acolytes, outre les quelques dégâts produits quand elle avait percuté le sol, la pluie de météores n'avait aucunement influé sur l'équilibre de notre organisme. Je restais néanmoins persuadé du contraire.

Deux enfants ne pouvaient pas du jour au lendemain aspirer en eux des millions de volts. Certes, ils en avaient payé le prix de leur vie, mais je ne pouvais pas croire en la manifestation si soudaine de tels pouvoirs. Les deux incidents s'enchaînaient d'une manière ou d'une autre, et j'étais prêt à tout pour le prouver.

En y repensant, les dates concordaient en tout point. Celle où, une vingtaine d'années plus tôt, en 1988, l'astéroïde 2008-KV2 aurait déclenché la fameuse pluie de météores qui se répétait à présent presque tous les quatre ans. Et bien entendu, celle où cette personne de mon enfance s'était vu obtenir des dons, alors que j'étais à peine âgé de quatorze ans. Exactement comme ces deux enfants et ce météore, apparus simultanément.

Alors, non, je ne croyais pas au hasard. Parce que même s'il nous avait fallu attendre 2008 pour nous en rendre compte, je restais convaincu que ces jeunes détenteurs de pouvoirs étaient profondément liés à ce corps de l'espace.

Je quittai des yeux cette nature sauvage, délaissant les multiples interrogations qui venaient avec, et me concentrai à nouveau sur le cahier que j'avais sorti. Je sautai quelques pages sans intérêt et portai un regard attentif sur un morceau de journal soigneusement découpé. Cela remontait déjà à deux ans. Il datait du 14 octobre 2008.

« C'est en ce jour que l'on nous a annoncé la disparition d'un jeune garçon âgé de sept ans, Rex Wirel. Il aurait été enlevé devant l'enceinte de l'établissement périscolaire où il était inscrit, vendredi matin. Si vous apercevez Rex, appelez le numéro d'urgence ci-dessous. »

J'examinai la photo attentivement. Cet enfant avait tellement changé depuis cette année-là. Il avait beaucoup grandi, délaissant ses expressions enfantines pour un visage bien plus renfermé et mûr. Mensuellement, l'un de mes agents se chargeait de couper ses cheveux bruns uniformément.

En me remémorant les origines de mes recherches, je m'étais inévitablement rappelé du premier Sigma référencé dans mon centre : Rex.

Du haut de ses neuf ans, il savait maintenant tenir tête à mes scientifiques et moi-même, à notre plus grand désarroi. J'avais conscience que je l'avais enlevé à sa famille, comme d'autres l'avaient été avant lui. Mais ce n'était pas faute d'avoir essayé de trouver un autre moyen. J'avais tout tenté. En vain. Mon fils et ma femme m'avaient brutalement quitté, laissant derrière eux le vide immense de leur absence. Je savais que j'avais mal agi avec eux deux, que je n'avais pas été un père parfait, que je n'aurais jamais dû travailler à des heures aussi tardives, laissant à ma femme les tâches les plus ingrates.

Je payais maintenant le prix de chacune de mes erreurs. Même le juge m'avait refusé le droit de voir mon seul enfant et ma femme avait obtenu sa garde complète. Alors plus rien ne comptait à présent. J'avais tout perdu : l'amour de ma vie, le fruit de ma chair, ma seule famille. Que me restait-il dans tout ça ? Seulement mon travail, mes ambitions et mes projets.

Ma seule issue, ma dernière possibilité encore exploitable restait ces enfants. L'idée de les priver de leur famille quand on est père était de loin la pire. Sauf que lorsque qu'on est scientifique et qu'on naît curieux du fonctionnement du monde, on se laisse souvent déborder par le désir de tout savoir, de tout comprendre. Bien des personnes devaient se dire que cela ne justifiait aucune de mes actions, mais l'engrenage était lancé. Je ne pouvais rebrousser chemin. Pas après tout ce que j'avais entrepris.

SIGMA ENERGY - T1 - L'Étincelle de Liberté [ÉDITÉ]Where stories live. Discover now