La monarchie des Chimères

ກTourment de princeນ

Le vent lui fouetta le visage quand il sortit sur sa terrasse. De sa chambre du trentième étage de la tour, Brim pouvait percevoir tous les courants d'air du royaume, du moins c'est ce que disait la légende. Il posa ses mains sur la balustrade de pierre et contempla les montagnes. Loin, très loin, à plus d'un millier de lieu se trouvait le pays d'origine de son père.

En théorie il en était ambassadeur mais en pratique il n'y avait jamais mis les pieds. Ça n'était pas faute d'avoir supplié, avec Mise, pour y aller. Mais pour une raison mystérieuse, leurs parents n'avaient jamais donné leur accord et les deux garçons n'avaient jamais vu Kéol.

Aujourd'hui, tout allé changer. Il allait devenir roi. Avant la cérémonie il voyait ça comme un avantage, un honneur et surtout une aubaine pour prouver de quoi il était capable. Maintenant que tout était définitif, sa vision avait changé. Une masse de responsabilité aussi lourde que le poids de la planète elle-même pesait sur ses épaules. Il devait faire attention au moindre de ses gestes, à la moindre de ses paroles. Il comprenait pourquoi son père avait toujours l'air aussi épuisé lors de leur dîner en famille.

Il n'y avait pas encore un jour écoulé depuis l'annonce que déjà il ne dormait plus. A croire que le sommeil fuit toujours les grands dirigeants. Enfin grand, ça restait à débattre maintenant.

Deux mains attrapèrent ses épaules et des doigts pétrirent ses muscles pour les soulager de leur tension. Brim laissa échapper un long soupir de soulagement en sentant sa douleur s'atténuer peu à peu. Une bouche aux lèvres charnues déposa un baiser à la base du coup et remonta le long de la nuque lentement. Un petit gémissement de plaisir s'échappa des lèvres du futur roi tandis qu'il fermait les yeux.

- Tu as des doigts de fée, Pentan, murmura-t-il doucement.

- Pourtant je suis loin d'en être une, répliqua l'homme en retournant son partenaire.

Ils se firent face tous les deux un moment, se dévisageant comme à chacun de leur rendez-vous. Ce genre de manie un brin romantique sur les bords il le tenait de ses parents, son père en particulier.

Pentan était plus grand que lui. C'était ce qui lui avait tout de suite plus la première fois qu'il l'avait vu. Peu de monde le dépassait en taille et il était l'un des rares à en faire partie. Sa grande figure blanche allongée agrémentée de cheveux noirs coupés courts lui procurait un air supérieur magistral. Il était effrayant quand il était sérieux et horrifiant quand la colère s'emparait de lui.

Brim avait toujours pensé que c'était une caractéristique propre aux Düldanran que de faire peur de cette façon. Après tout c'était les créatures de la mort, les envoyés de la faucheuse comme disait certaines coutumes. En réalité, c'était légèrement différent. Ce peuple vivait reclus dans les cavernes au nord du royaume et seuls quelques ambassadeurs restaient en permanence en ville. Pentan était l'un d'eux.

Leur première rencontre avait eu lieu lors d'un Conseil Administratif annuel l'année passée. Son père avait réuni tous les ambassadeurs comme à son habitude pour parler de la situation de chacune des patries et Brim y assistait pour apprendre les premières ficelles du métier. Le premier regard qu'ils s'étaient échangés avait été d'un froid polaire. Mise avait éclaté de rire et prétendu que les Düldanran se prenaient bien trop au sérieux pour un peuple inutile et sans véritable terre.

Peut-être Pentan l'avait-il entendu ? L'aîné des frères ne l'avait jamais su.

Plusieurs fois ils s'étaient revus pendant des entrevues privés de son père. Des problèmes d'ordre politique exigeaient la présence des deux hommes ensembles. Un jour, ou plutôt un soir, après l'un de ces rendez-vous, Pentan l'avait invité à boire un verre avec lui au bord de l'eau. Sans savoir pourquoi il avait accepté. Malgré les avertissements de son cadet qui lui disait que la mort allait l'emporter avec elle s'il y allait, ses jambes l'avaient portée là-bas.

L'une des meilleures soirées de sa vie d'aussi loin qu'il s'en souvienne mais surtout celle où il avait découvert qu'il aimait les hommes et non les femmes. Une grande révélation qui, pendant plusieurs semaines, l'avait conduit à éviter l'homme dont il s'était épris.

- A quoi pense mon nouveau roi ? demanda Pentan en lui passant une main dans les cheveux.

Un tic propre à lui-même cette fois-ci. Le Düldanran avait une passion pour les cheveux blonds du jeune homme que ce dernier n'avait jamais comprise. Il adorait les toucher, les replacer correctement pour les décoiffer à nouveau, les tresser, les brosser. Tout ce qui était en rapport avec eux, il l'adorait.

- A toi et moi.

Il laissa son corps s'appuyer sur la barrière derrière lui. Bientôt le peuple se masserait juste en dessous pour le voir saluer le monde et se faire couronner. Il redoutait ce moment car Pentan serait à ses côtés en tant que conjoint. Et tout le monde saurait à ce moment-là. Tout le monde, sans exception possible.

Le ténébreux lui prit les mains et l'attira vers l'intérieur. Avec des gestes précis et délicat il lui ôta ses vêtements et l'embrassa. La première fois qu'il l'avait fait était encore un vif souvenir dans sa mémoire. Il y pensait souvent le soir en se couchant, à ce plaisir mêlé de douleur qu'il avait ressenti. Depuis c'était arrivé encore quelques fois, mais plus depuis un moment, faute de temps.

Chacun avait des obligations et se voir était devenu un vrai challenge pour les deux. Des baisers échangeaient discrètement entre deux entretiens ne suffisait plus, il fallait plus à Pentan. Beaucoup plus. Mais Brim refusait, toujours et encore, de donner beaucoup plus estimant déjà assez.

En vérité s'il refusait de révéler officiellement ce que tout le monde savait tout bas, c'était parce qu'il ne l'acceptait pas lui-même.

Les lèvres de son amant parcoururent d'abord son corps avant de rejoindre les siennes pour danser pendant un moment. La porte de sa chambre n'était pas fermée à clé. Au moment où il allait faire la réflexion Pentan le fit taire en lui arrachant un cri de plaisir. Immédiatement après il se maudit de n'être aussi peut discret, mais c'était ce que recherchait son partenaire.

Faire le plus de bruit pour être le plus remarqué possible.

A la fin de leur acte, Pentan s'endormit, le visage enfouit dans le cou de Brim. Ce dernier avait enroulé la couverture autour d'eux. Le froid l'empêchait de dormir plus que ses problèmes du moment.

Ça lui faisait mal de devoir l'avouer mais le trône aurait dû revenir à son petit frère. Lui aurait une descendance directe et donnerait une meilleure image de son peuple. Lui serait suivi par les gens, écoutait et adulait. Les filles se l'arracherait toute une à une pour l'avoir à leur bras. On se régalerait de l'avoir comme hôte.

Brim deviendrait l'exact contraire de tout ça, on l'appellerait le roi maudit, le roi détesté de son peuple. Tout ce qu'il entreprendra échouera à cause de la haine du peuple. Ça n'était même pas la peine d'essayer, à quoi bon gouverner quand on est voué à l'échec.

Il se défit de l'étreinte de son amour et s'éloigna au bord du lit. Dans ces moments-là il avait juste envie de disparaître de la surface de la planète. Tous les regards gênés de certaines personnes lui revenaient en sa mémoire. Il n'y en avait pas beaucoup mais les quelques-uns qu'il avait reçu restaient vif dans ses souvenirs tel une peau marquée par le fer rouge d'un tison enflammé.

- Brim, fit la voix ensommeillée de Pentan, reviens.

Un bras le tira en arrière pour le coller contre un torse. C'était impressionnant la force qu'il y avait dans le long corps du Düldanran. Il sentit ce même bras lui enserrer la taille et une bouche lui déposer un petit baiser sur l'oreille.

- Je sais ce que tu penses, mais c'est faux. Tu seras un grand roi, Brim, un très grand roi. Fais-moi confiance.