Chapitre 34

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♫ « Heavydirtysoul » - Twenty One Pilots ♫


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Joy
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Cette année, je n'ai pas le cœur à m'amuser. Nous sommes pourtant le trente et un octobre, et habituellement, je ne déroge jamais à la tradition de la fameuse soirée d'Halloween. De toute manière, je suis de garde aux urgences, alors je pense que j'aurai mon quota d'atrocités pour aujourd'hui. Jerry a tout de même tenu à ce que nous rendions le service un peu plus amusant que d'ordinaire et a incité l'équipe à accessoiriser ses blouses d'éosine pour nous transformer en de sanglants médecins et infirmiers. J'ai trouvé plutôt comique de lire de l'incertitude dans les yeux des patients concernant l'origine de ces taches. Et mon collègue avait raison, cela a permis de faire passer la journée plus rapidement.

Et pourtant, contrairement à d'habitude, j'ai pris le parti de laisser mon téléphone au vestiaire pour tenter d'occulter le fait qu'à chaque fois que j'allume l'écran, je m'attends à y voir inscrit le prénom de Bianca. De cette manière, aucune contrariété extérieure n'a pu me perturber dans mon travail. J'ignore à quoi je m'attends en espérant secrètement qu'elle me contacte. Des excuses ? Peu probable vu les circonstances. Une explication ? En a-t-elle seulement une à me fournir ? Je dois me faire à l'idée qu'elle est revenue dans ma vie aussi furtivement qu'un malsain courant d'air. Le genre de courant d'air qui au début vous donne un coup de fouet et vous fait du bien, mais qui rapidement s'avère être si glaçant qu'il finit par vous refiler un rhume. À la différence que Bianca n'a pas laissé qu'une minable crève derrière elle.

La fin de ma garde est proche. Je redoutais que mon état déplorable ne soit perçu par mes collègues, mais comme toujours, je suis parvenue à faire semblant. Car intérieurement, je suis sur le point de toucher le fond. Je me suis interdit d'avaler le moindre comprimé depuis dimanche dernier. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en cinq jours sans ma bénéfique molécule de bien-être, mon corps commence à me faire payer cette carence que je lui impose. La fatigue se cache facilement. L'anxiété aussi. En revanche, les mains tremblantes et les sueurs froides n'ont rien d'agréable et jouent contre moi dans ma quête de sevrage.

Harry n'approuve pas ma méthode. Pas plus qu'il n'aime me voir prendre du Paxil, mais il ne voulait pas que je procède de façon si radicale. Il voulait avoir la main sur mes flacons et m'en donner au compte-gouttes en fonction de mes besoins. J'ai refusé. Je m'en suis déjà passé totalement pendant un temps, alors je peux recommencer.

En sortant d'une salle d'examen, ma maîtrise sur les effets du manque commence à se faire la malle. Ma vision s'est même troublée lorsque je réalisais une prise de sang sur un patient. Il me faut une pause ou je risque bien de devenir dangereuse. Je marche encore quelques instants la tête haute dans le couloir menant aux toilettes, seul endroit où je sais que je pourrai être tranquille. Aussitôt à l'abri des regards, mon visage perd de son éclat face au miroir. Mon maquillage passé de ce matin ne cache que très peu mes cernes et j'ai le teint blafard. Ces fichus tremblements reprennent de plus belle et avec eux les fameuses sueurs froides qui me rebutent. Ce serait tellement simple de craquer. De puiser dans les réserves de l'hôpital pour me procurer une ou deux gélules qui me feraient remonter la pente instantanément. Mais je refuse d'être aussi faible de nouveau. Je dois tenir bon et ne pas les laisser avoir ce pouvoir sur moi.

Au fur et à mesure que je prends le temps d'auto-évaluer mon état, je constate un nouveau phénomène. Les symptômes de la crise d'angoisse font petit à petit leur apparition. J'appose mes mains sur les rebords du lavabo face à moi pour me stabiliser et ferme les yeux dans l'espoir de vaincre le tournis. Des perles de transpiration apparaissent sur le haut de mon front et dévalent mon visage. J'en frissonne. Je tente d'entamer des cycles respiratoires amples et réguliers pour me calmer, car j'ai le sentiment que mes poumons se sont ratatinés sur eux-mêmes et ne servent plus à rien. Je rouvre les yeux. Mes traits sont déformés par la peur. Cette peur que je ne sais même pas expliquer, mais qui pourtant a pris possession de tout mon corps.

YOURS. // Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant