Chapitre 3

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          — Je te sers un verre ?

Le regard morne que me lança Al Evans me fit presque sourire. Mon grand-père avait toujours su fusiller les gens des yeux, ce qui était un talent utile au sein de notre profession.

— Il est neuf heures du matin, grognassa le vieil homme en buvant une gorgée de son café noir.

J'arquai un sourcil, et fermai la porte du lave vaisselle après y avoir placé le dernier verre sale qui se trouvait dans l'évier.

— Ça ne t'a jamais empêcher de verser un peu de gnôle dans ton café, plaidai-je en jetant mon torchon sur mon épaule.

Je m'appuyai nonchalamment contre le rebord du bar, et penchai la tête sur le côté afin d'observer plus attentivement mon confrère. Il revenait d'une longue chasse éprouvante qui avait durée des semaines, ce qui expliquait certainement son aspect déplorable. Les rides sur son visage semblaient s'être creusées, ses épaules voûtées trahissaient une fatigue intense que, comme d'habitude, il tentait de masquer par une mauvaise humeur exacerbée, et il n'arrêtait pas de lorgner les bouteilles dans mon dos. Mon parent dégageait de telles ondes de négativité, que les autres clients présents ce matin ne pouvaient s'empêcher de lui lancer des œillades prudentes, tout en faisant attention à ne pas se faire prendre. Tout le monde connaissait Al dans le coin, personne ne voulait se retrouver avec un gnon sur la tronche à neuf heures du mat'.

— Tu as une sale tête Evans.

Enfin, presque...

Si il y avait bien une personne sur cette Terre qui ne craignait pas mon grand-père, c'était bien Arlene McPhelan. Ma patronne, ex-chasseuse reconvertie dans le domaine de la restauration, était une quinquagénaire colorée et pétillante, qui, sous ses fringues saillantes et extravagantes, cachait une véritable lionne encore capable de botter le cul du plus bourrin des hommes. Elle et Al entretenait une relation privilégiée, qui durait depuis des années, tant et si bien que j'en venais parfois à me demander si il n'y avait pas plus que de l'amitié derrière celle-ci. Quoi qu'il en était, la rousse n'avait pas peur de froisser les sentiments du vieux qui me faisait face, ni de se prendre un poing dans la figure, visiblement.

La propriétaire du Teddy's, qui venait d'arriver par la porte des cuisines, passa derrière le bar, et vint se poster à mes côtés. Ses talons hauts de style rétro, rouges à pois blancs, claquèrent sur le parquet lorsqu'elle se dandina jusqu'à moi, je baissai les yeux pour observer sa nouvelle paire de chaussures. Jamais je ne pourrai porter de telles godasses, j'aimai trop mes baskets pour les troquer contre des objets de torture comme celles-ci.

— Je pourrais te retourner le compliment, grommela le chasseur en fronçant les sourcils.

Pas vexée pour deux sous, la femme ignora sa remarque et releva le menton. Allaient-ils se livrer à un énième bras de fer qui allait durer des heures ? S'attaquer mutuellement à coup de remarques acerbes et piquantes ? Allions nous assister à une guerre sanglante et impitoyable qui allait avoir pour but de voir lequel des deux combattants était le plus fort ?

— Tu aurais pu téléphoner, cracha finalement Arlene après un instant de silence, ça fait des semaines que nous n'avons pas vu ta sale mine ici.

L'expression sur le visage de mon grand-père se radoucit quelque peu, le bras de fer n'était pas pour aujourd'hui.

— Tu sais très bien que je ne contacte personne lors d'une chasse Arlie, d'autant plus quand celle-ci s'installe dans la durée. S'inquiéter n'était pas nécessaire.

— Je n'étais pas inquiète, plaida t-elle en faisant la moue.

J'arquai un sourcil, et échangeai un regard furtif avec le second Evans présent dans la salle. Nous savions tous les deux qu'elle mentait, elle se faisait toujours du soucis. Pas seulement pour Al, non, mais aussi pour tous les chasseurs qui fréquentaient son bar. C'était son côté « maman lionne » qui engendrait son stress permanent, même si elle affirmait le contraire.

Alpha : Le chant MortelWhere stories live. Discover now