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11 aout 1789, au soir,

Manoir De Lavallière, Brest,

Le carrosse de la troisième fille circula sans encombres sous les remparts de la ville de Brest. La petite Catherine venait de s'endormir sur les genoux de Marie, sa nourrice. Cette dernière se demandait si elle éprouvait de la tristesse quant à sa nouvelle vie ou si elle l'appréhendait avec joie. Elle jeta un coup d'œil à travers la fenêtre en tirant le rideau pourpre. Elle observa la ruelle éclairée par les faibles flammes jaillissant des réverbères de part et d'autres de la chaussée pavée. Tout paraissait calme quand elle vit un homme marcher en titubant jusqu'à son chez lui. La ville semblait dormir et ne pas entendre la tristesse d'un homme qui noyait son chagrin. Marie songea à son père. Cet homme sur la chaussée qu'elle venait de croiser le lui rappelait tellement. Ivre mort chaque soir, utilisant le moindre sou pour continuer à boire jusqu'au lendemain.

La berline tourna à droite au croisement et se dirigea vers la rue du château où les attendait leur futur logis. Un manoir lui avait-on dit. Pour cela, il l'avait payée cent livres qu'elle n'avait pu refuser. Mais elle s'hasarda à tenter de comprendre. Face à la grandeur de la somme, elle songea aux grandes responsabilités qu'on lui avait confiées. Avec cent livres en poche, sa bonté lui dictait d'aider son prochain. Entant que bonne chrétienne, elle aiderait Catherine. Mais entant qu'être de raison, elle voulait comprendre. Pourquoi fuir la capitale en dispersant ses quatre enfants aux quatre coins de la France ? Elle comprenait pourtant bien que la capitale ne fût à cet instant pas sûre pour la noblesse. Toutefois, cela n'expliquer pas la raison de leur division.

Le carrosse s'immobilisa face à leur nouvelle demeure. Marie qui continuait d'épier le paysage, vit s'imposer à elle, l'austérité du manoir. Elle commanda au valet de pied de l'amener la petite fille dans le logis. Il la souleva et la hissa dans ses bras. La tête posée sur son épaule, elle dormait encore. Ils franchirent le portillon et la porte d'entrée s'ouvrit. Une domestique les fit entrer prestement. Le vestibule était idéalement éclairé laissant droit à la contemplation des tapisseries aux motifs fleuris. La domestique les guida sans faire de bruit jusqu'à la chambre de la petite fille. Elle ouvrit une porte de bois sombre et alluma un chandelier. Marie regarda autour d'elle et reconnu une chambre d'enfant. Tout était aménagé dans l'idéal d'accueillir un petit être. Un cheval à bascule, un coffre à jouet, un château en bois. Le valet déposa l'enfant dans le lit au centre de la pièce. Marie intervint, elle redressa les couvertures sur son petit corps et écarta les mèches rousses qui s'étaient évanouies sur son visage. Elle avait une frimousse à la peau de nacre, de longs cils et des lèvres roses. Marie contempla les doux traits de l'enfance.

Elle quitta la pièce après avoir emporté le chandelier qui l'avait guidé jusqu'à la sortie. Là, la domestique au regard sévère l'attendait, pour semble-t-il, un interrogatoire des plus formel :

- Qui êtes-vous ?

- Marie Voisier, je suis la gouvernante de Catherine.

- J'espère que vous savez où vous êtes ? reprit-elle d'un ton très autoritaire.

- Je pense ne point en avoir été informée. Veuillez m'excuser ...

- Vous êtes chez le comte De Lavallière, un proche ami du marquis de Gontaut. Et vous n'êtes point sans savoir que Monsieur le comte est veuf depuis peu. Alors ne parlez point de sa femme. Il souffre déjà bien assez de l'avoir perdue. Je vais vous conduire à vos appartements.

Marie acquiesça sous les ordres du cerbère qui venait de brailler ces quelques ordres. Elle s'apprêtait à la mener plusieurs étages au dessus, sous les combles quand Marie l'apostropha :

- Ne devrais-je point dormir auprès de Catherine ? Elle vient de perdre ses parents, son frère et ses sœurs. Je voudrais être là pour l'épauler en cas de besoin.

La vieille femme fronça les sourcils, elle qui se devait d'agir au mieux selon ce qu'elle croyait être le mieux pour son maître. Et puis n'était-elle pas une domestique tout autant qu'elle ? Alors par question d'équité elle devrait dormir sous les combles. Elle rétorqua impérieuse :

- J'obéi aux ordres de Monsieur le comte.

- Ne vous inquiétez pas Sophie. Prononça une voix masculine qui venait de surgir dans les escaliers en contrebas.

Les deux femmes se tournèrent et virent l'homme s'approcher, un chandelier à la main. Il portait les traits de la quarantaine et la carrure d'un homme de dix ans plus jeune. La mâchoire carrée, les yeux sombres. La lumière faisait ressortir les cernes qui englobaient son regard et le ternissait. Il était vêtu d'une fine chemise blanche ouverte sur le devant et recouverte d'une houppelande bordeaux. Une forte présence se dégageait de son apparence robuste et le rendait presque effrayant. Cependant, Marie décela une certaine forme de fragilité, comme une faille ouverte sur un désespoir mal dissimulé. Elle l'examina un peu plus et s'aperçut qu'outre ses cheveux en désordre, une odeur de vin s'imposait à elle comme la bruine d'un matin d'automne. A vrai dire, il venait simplement de quitter la cave qui semblait être devenue le berceau de ses nuits. Il continua :

- Allez-vous coucher Sophie, je vais accueillir notre invitée comme il se doit.

- Bien Monsieur. » Fit-elle en rougissant, suivit d'une courte révérence qui semblait faire souffrir ses vieux os.

Le comte examina son « invitée » comme il l'avait nommé pour ne pas dire employée. Il contempla ses cheveux se mouvoir sous l'agitation de la flamme, ses yeux aussi clairs que ses joues, ses pommettes rosées. Un sourire. Il reprit :

- Suivez-moi. Je vais vous conduire à vos appartements.

Marie obtempéra, brièvement surprise par ce retournement de situation et pourtant avide de découvrir ce qui l'attendait.

Ils firent demi-tour et se postèrent face à une porte adjacente à la chambre de Catherine. Il renchérit :

- Ainsi vous serez plus près de l'enfant.

Il sortit de sa poche un lourd trousseau de clef. Plusieurs cliquetis se firent entendre et enfin, la porte s'ouvrit sur un lit à baldaquin couvert de riches tissus brodés.

Il ajouta sous le regard émerveillé de Marie :

- Ce que vous voyez là, étaient les appartements de ma défunte femme. Nous les avions aménagés ici afin qu'elle soit plus proche de l'enfant

- Où est-il ? Questionna la nourrice timidement.

L'attitude de l'homme se renfrogna :

- Ils m'ont quitté tous deux. Ma femme n'a pas survécu à l'accouchement et mon fils était déjà mort ...

- Je suis désolée. Je ne voulais ...

- ... Ne vous en faites pas, vous n'y êtes pour rien. En tout cas, passez une bonne nuit. »

Il quitta brusquement la pièce et le vent qui s'était infiltré par la porte souleva les mèches de cheveux de sa nuque. Marie inspira grandement et se laissa tomber sur le lit.

Dans l'ombre de la lumière (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant