Invisible

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[Dans la photo c'est moi à cette époque, et si vous balayez à droite vous verrez une musique à écouter en lisant]

Nous sommes en juin 2013, une semaine avant les vacances d'été à peu près.
C'est l'heure de se lever, je me réveille et sèche mes yeux:
Cette nuit, comme toutes les autres, j'ai pleuré.
J'ai déversé mes larmes sous un torrent d'insultes plongé dans l'accablement d'une société vouée à l'échec. Je n'écris pas encore à cette époque.
Comme tout les matins, je m'habille, un pull noir, un pantalon large, mes affaires de cours, mes démons dans la tête et la boule au ventre:
je prends le chemin du collège, ou la cage au lions comme j'aime bien l'appeler.
Je marche, l'angoisse me piétine, et je traine mes chaînes, libérez moi en je vous en supplie.
Je vois sur mon chemin passer le bus, le numéro 47 plus précisément, celui où pratiquement la totalité de ma classe de cinquième voyage, ils se connaissent tous et sont soudés, quant à moi... moi je ne me connais même pas personnellement...
Je regarde le ciel prendre vie et je divague dans ma démarche somptueuse en laissant les traces d'une joie déchue au pays de ceux qui doivent se soumettre à autrui...
Je refuse d'obéir à ces lois.
J'arrive devant le portail, les autres le voient en vert, mais je la perçois en noir, plus d'espoir:
j'ai l'âme assombrie.
On vient me faire la bise,
j'ai peur.
«-Tout va bien ne stress pas ça sert à rien»

La boule au ventre, encore.
Les larmes aux yeux, encore.
Et ces chaînes, toujours.

Retiens toi, ne craques pas:
Fais comme si tout allait bien, sinon on va te harceler de questions lancinantes, étouffes ta souffrance sous de beaux sourires, ivre de ton propre mensonge, trébuches mais ne tombes pas sous l'emprise de ce poison, l'ébauche d'une pâmoison.
Mon cœur bat fort, je les vois tous, me jugeant, regardant, scrutant, ils me dévisagent, me déshabillent du regard:
je me sens nu face à eux, désarmé.
«-Eh mais regarde c'est Sarkis le trisomique !
-Ah oui ce pd là ? On raconte qu'il a traité toutes les filles du collège de pute ce matin en message !
- ouais le moche avec un mono-sourcil !
-Oh mais on peut pas supporter ça (nous on a peur de la différence)  il faut aller l'insulter !
Vous venez mes suiveurs (sans cervelle) ?
-Carrément venez on va le violer ce con (pour satisfaire notre manque de confiance en soi) !
-Allez viens on va bien rigoler fredo ! C'est pas toi qui avait dit qu'il nous avait tous traités de pute ?!
-Ouais venez on va le niquer haha !»
Ce matin, comme tout les autres, ils sont tous venus se rassembler autour de moi.
Ils devaient être près de soixante, je reconnaissais les visages de personnes faisant parti de trois classes différentes...
Je suis là, silencieux mais si bruyant à la fois, je les regarde, je hurle avec mes yeux, un appel à l'aide
inaudible.
Je ne me défends même plus,
je sais que quoique je dise ils auront raison de moi:

Je me tais et je subis.

Un petit homme terrorisé par cette foule d'inconnus s'écartelant la gorge avec ces insultes grinçantes.
Ils me regardent, et s'insultent, mais ça je ne l'sais pas encore, je prend tout ce qu'ils déblatèrent comme attaque personnelles...
Je veux partir, m'enfuir de ce rassemblement de hyènes moqueuses, charognards attendant ma chute pour me croquer.

Un garçon vient et pause sa main sur mon torse, l'autre sur mon sac et me balance cruellement contre ce sol de goudron noir, noir,
Noir.
Je tombe et me fais horriblement mal à la cheville,
Je n'dis rien, je suis à genoux:
Impossible de me relever j'ai trop mal.

Ils ont réussis à me mettre à terre, félicitations :
Mesdames et monsieur, que le festin commence.

À présent c'est une fille qui s'approche de moi,
je me souviens très bien d'elle.
Elle fait un tour entier en me regardant de haut en bas, ça en devient poétique, une danseuse de flamenco revêtue de sa robe de remords.
Puis elle s'arrête en même temps que mon cœur.
La détresse reprend le dessus sur l'élégance de cette pensée, elle me regarde, me tue trois fois,
et sans attendre,
de ses mots tendres me mord,
Et me crache à la face.
Cette eau lugubre peignant mon visage de haine dégoulinante signe l'arrêt de mort journalier de ma confiance en moi et de mon amour propre, comme un petit garçon ne sachant pas nager qui s'étouffe dans de l'eau baveuse:
Je sombre dans la honte, une honte amicale devenue normale, habituelle, vers qui je vais pour me réconforter,
c'est ma seule amie:
depuis que cette feuille verte s'est meurtrie parallèlement à l'arrivée de l'automne, en ce beau septembre 2012, cette feuille invisible écrasée par la cascade d'événements qui lui est tombée dessus.
Ceci dure dix minutes,
dix minutes interminables,
entre insultes,
affronts,
et rabais,
et une ribambelle de jolis mots sortis de jolies bouches rouges

comme:
"va crever, ou, va te pendre; tu mérites pas de vivre; oh mais il s'est pas encore suicidé lui ?; fils de pute; sale Arménien; mono sourcil de merde tu mérites la mort; va te mutiler sale merde"
...
Elles me regardent fixement en riant
Des crachats, des coups de poings, de pieds,
je saigne du nez.
Je les vois sourire.
Un surveillant passe par là, il voit ces gens autour de moi entrain de me tuer lentement,

pas un bruit:
«Ce n'sont que des enfants.»

Je me taisais. Je me tais.
Et pendant encore bien des années je me suis tu.
Je viens enfin d'achever mon entrée dans la cage aux lions, des égratignures, du rouge sur mes lèvres, mais ce n'est rien je cache tout ça derrière un sourire désespéré et personne ne le remarquera.
Jamais.
Je suis dans mon rang, je ne fais pas de bruit:
Je suis tranquillement renfermé dans mes écouteurs.
Une fille de la 5° s'approche de moi avec sa bande:
même scène, mêmes insultes, un regard de bête féroce doublé d'un air hautain et méprisant, encouragé par le silence de ses semblables, au paroxysme de l'irrespect de-par son regard sombre et vide de toute conscience.

en résumé:
Une inhumaine

Elle prend mon nouveau téléphone
et le jette parterre.

(Quelle belle idiote,
un nouveau,
acheté la veille)

Autour de moi: ils nous regardent, pas un geste, pas une réaction, pas un bruit, et si vous leur demandez aujourd'hui ils vous diront tous qu'il ne s'est probablement rien passé ce jour là et que
"je fais la victime",
Que" j'invente,"
Que "je crée de toute pièce"
cette souffrance atroce.
Quelle mentalité pitoyable.
Voici 20 minutes de mon quotidien,
un néant comblé des miettes d'un adolescent.
Un ado couvert d'un linceul composé de ces années terribles...
Je m'en vais les yeux glacés par la mort se reflètant dans mon âme, je mets mes mains sur mes yeux:
Et vous connaissez la suite.
12 ans et déjà intérieurement mort:
Bravo mademoiselle société, encore une de tes victimes invisibles à tes yeux car elle sourit.
Bravo, sincèrement.

⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Je suis ce garçon incompris
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Cette "ordure" qu'on humilie
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Une invisible tragédie
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Cachée dans l'infini oubli
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Des personnes qu'on qualifie
⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀De belles et jolies jeunes filles
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Commérages en catimini
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀J'avance le cœur en charpie
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀C'était pour elles une lubie
⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Un bel enfant jouant aux billes
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Mon esprit en guise de quille
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Strike ! Mon âme s'effondre.
⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Victoire, ma confiance sombre
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀À présent tapis dans mon ombre
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀parlent, hurlent, s'amoncèlent
⠀⠀⠀⠀⠀
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Dans une peine bien réelle.

[Trois ans plus tard j'ai croisé une de mes harceleuses, j'ai essayé de lui parler pour comprendre,
Pour comprendre pourquoi moi,
Pourquoi tans d'années
Pourquoi avec un tel acharnement
Pourquoi s'en être pris à mon physique...
et vous savez ce qu'elle m'a répondue ?
"Vas crever sale batard j't'ai jamais rien fait moi c'est toi qui me harcèle là t'as un problème mental
je vais porter plainte"]

Notes personnelles Where stories live. Discover now