Audition

J'inspire. J'expire.

Mes paupières sont trop tuméfiées pour me permettre d'ouvrir les yeux. Je sens les vaisseaux sanguins qui les parcourent palpiter en rythme avec les battements de mon cœur. Mes tympans ont été percés : un sifflement strident m'empêche de correctement discerner les bruits autour de moi, et un sang poisseux, à moitié coagulé, s'écoule le long de mon cou. Je tends la nuque et dodeline de la tête. Mes lèvres entrouvertes autour du bâillon laissent échapper un gémissement de douleur. Mon corps entier est couvert de plaies. Elles s'écartent à chaque fois que mes poumons se gonflent, et mes côtes brisées me soutirent des crispations de douleur.

Malgré la souffrance qui ravage le moindre pore de ma peau et la peur qui me taraude les tripes, je tente de rester calme, lucide. Je sais que je ne peux pas rester là. Les souvenirs sont flous, imprécis. À l'instant où je rassemble mes maigres forces pour me redresser, je me rends compte que mes poignets sont entravés par des sangles, attachées aux accoudoirs du siège sur lequel je suis cloué. De même pour mes mollets. La corde est si serrée qu'elle creuse ma peau. Au moindre mouvement de mes pieds, elle s'enfonce plus profondément dans ma chair.

À chaque fois que je bouge, mon corps tout entier lutte pour ne pas répondre aux ordres de mon cerveau. Je peux le comprendre. De toute façon, je ne peux pas aller bien loin.

Je réfléchis aux circonstances qui m'ont amené dans cette situation. Je me souviens juste avoir quitté le bar où je m'étais réfugié après l'échec de mon audition, avec une bonne dose d'alcool dans le sang. J'ai été viré sans autre forme de procès, pour esclandres et bris de matériel. Je me souviens avoir titubé sur la chaussée, et qu'une voiture s'est arrêtée à ma hauteur.

Puis, plus rien. Le vide total, le noir complet.

Il ne me faut pas plus longtemps pour réaliser que j'ai été enlevé. J'essaie de refréner la panique qui sourde en moi, mais bientôt, mes halètements de frayeur se transforment en glapissements terrifiés. Je hurle, priant pour que quelqu'un m'entende, mais le bâillon étouffe mes cris. De mes yeux pochés s'écoulent des larmes irrépressibles. Comme je respire plus fort et plus vite, un feu ardent déchire mon thorax et m'oblige à m'apaiser, si je ne veux pas m'évanouir.

Après quelques minutes où je régule mon souffle, je parviens à reprendre mes esprits, et mes paupières moins gonflées me permettent de voir un peu autour de moi. Ma vision est floue mais je peux discerner des planches, des murs patinés et des cordes pendant à des poutres au-dessus de ma tête, où s'alignent des crochets et des leviers. En me concentrant assez, j'entends des clameurs et des applaudissements, ainsi qu'un orchestre lointain, en-dessous de moi.

Je sursaute brusquement quand la porte s'ouvre à la volée. Tétanisé par la peur, je me raidis et ma respiration s'emballe à nouveau, ravivant la douleur de mes côtes brisées. Mes doigts se crispent sur les accoudoirs, ma jugulaire frétille furieusement. Une silhouette féminine se dessine dans l'encadrement, immobile et silencieuse. « Tu es réveillé ? » demande-t-elle sur un ton doucereux.

Mes préjugés me susurrent qu'elle n'est pas dangereuse : après tout, je dois avoir le double de muscles. Mais je suis attaché, et j'ignore encore ses intentions.

La femme s'avance vers moi d'un pas nonchalant. Elle est grande et élancée, mais ma vue brouillée m'empêche de lire les traits de son visage. Elle s'arrête, me surplombant de son immensité, nichée dans les ombres de la pièce. « Je suis désolée pour tes côtes. Je ne voulais pas les abîmer, mais tu t'es montré plutôt turbulent lors du voyage. »

Je suis sans doute monté dans la voiture ce soir-là. Qu'est-ce qui m'a pris ?

La femme se penche sur le côté et saisit un objet que je n'identifie pas. « Félicitations, tu as réussi l'audition » dit-elle en me tapotant la tempe. « Je n'ai jamais douté de toi, pas à un seul instant. Dès que je t'ai vu, j'ai su que tu étais parfait pour ce rôle. »