Départ

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- Anathea?

La voix de Samaël venait de l'autre côté de la porte de sa chambre, au deuxième étage de la forteresse de l'île des Voleurs, cette forteresse dont nul ne soupçonnait l'existence, dissimulée par un puissant brouillage magique. Aux yeux des non-Voleurs, l'île des Voleurs n'était qu'une terre aride et incultivable, aussi connue sous le nom d'île Solitaire...

Anathea, soupirant, délaissa le sac de voyage qu'elle était en train de remplir et rejeta sa tresse noire par-dessus son épaule.

- Tu peux entrer, Samaël.

La porte s'ouvrit doucement.

- Qu'est-ce que tu fais? demanda Samaël en posant un regard perplexe sur son bagage.

Anathea releva la tête et croisa le regard vert du jeune homme qui l'aimait, et qu'elle adorait tout autant. Mais elle avait beau l'aimer de tout son coeur, elle n'avait pas le choix: si elle voulait réaliser ses rêves, elle devait quitter l'île des Voleurs... Samaël demanda tristement:

- Tu veux partir quelque part?

Ses cheveux couleur de feu allaient cruellement manquer à la jeune Voleuse de vingt-et-un ans... Et sa gentillesse... Et sa façon de la serrer contre lui, comme si elle était tout ce qui comptait au monde... Un instant, elle sentit sa détermination vaciller, mais se reprit et répondit d'une voix neutre:

- Je retourne sur le continent. Je veux participer au tournoi royal!

Samaël resta un instant muet de stupeur à la mention du plus grand tournoi du royaume, qui aurait lieu à Canvas, la capitale, dans moins d'une semaine, mais finit par lâcher:

- Tu sais... ça ne m'étonne pas de toi...

- Alors, tu ne me retiens pas? s'exclama Anathea, une vague de soulagement déferlant en elle.

Samaël se fendit d'un sourire canaille:

- Bien sûr que non! Je sais pertinemment que tu ne peux pas te passer de moi! Je suis persuadé que tu vas me fourrer dans tes bagages, juste à côté d'un poignard de jet...

Malgré elle, Anathea éclata de rire.

- Même si je le voulais, je ne suis pas vraiment sûre d'avoir assez de place pour toi dans mon sac!

Le visage de Samaël redevint sérieux.

- De toute façon, je ne pourrai pas te convaincre de rester, je le sais... Alors, tu peux partir, seulement, promets-moi d'être prudente... Tu as beau surpasser largement tous les concurrents qui seront présents au tournoi, on ne sait jamais ce qui peut arriver...

Anathea nota son expression un peu inquiète et une vague de chaleur envahit sa poitrine. Personne ne comptait plus que Samaël. Personne.

Ils s'embrassèrent, et un instant, un bref instant, Anathea songea à rester. Oublier ce foutu tournoi. Oublier tout et rester avec Samaël.

Brusquement, le souvenir de la première fois qu'ils s'étaient embrassés lui revint en mémoire. Trois ans auparavant, lors du bal organisé par Noëlyse sur l'Île des Voleurs.

Anathea ne sait que faire, dans cette salle de bal bondée. Elle n'a pas l'impression de faire partie de ce monde... Un danseur lui propose une danse, un des meilleurs partis parmi les Voleurs... Elle ne sait pas vraiment comment refuser poliment, mais une main se pose alors sur son bras. Samaël! Dès que leurs regards se croisent, tout semble évident, et la salle disparaît, tandis qu'ils dansent, encore et encore...


Ce fut le jeune homme qui rompit leur baiser.

- Bon, alors, quand part ton bateau pour le continent?

- Dans moins de deux heures, avoua Anathea.

- Dans ce cas, finis de préparer tes bagages. Je vais chercher Alanya, je reviens.

Sur ce, il quitta la pièce. Quelques minutes plus tard, Anathea était prête. Elle allait pousser la porte de sa chambre lorsqu'elle entendit une discussion animée juste de l'autre côté de celle-ci:

- Oui, puisque je te dis que Lilya a repéré des Assassins sur la crique Ouest, la plus éloignée, tu sais? fit une voix masculine, une voix qu'Anathea reconnut comme celle d'Alban de Canvas, un jeune Voleur casse-cou qu'elle trouvait quant à elle insupportable.

- Vraiment? dit une autre voix. Mais que font-ils dans les parages?

- Ils ont fait naufrage, reprit Alban. Selon Lilya, ils sont complètement désorganisés. Je propose de les attaquer demain à l'aube, avec les cinq ou six amis à qui j'en ai déjà parlé. Imagine: vaincre des Assassins! On parlera de notre gloire pendant des années!

Un silence.

- Tu as raison, finit par décider l'interlocuteur d'Alban. C'est l'occasion rêvée. Je marche avec vous. Nous nous retrouvons demain matin.

Anathea voulut intervenir, mais le bruit de leurs pas s'éloignait déjà.

A l'instant où elle finit par ouvrir la porte, Samaël réapparut, suivi d'une jeune femme de petite taille, aux courts cheveux blonds:

- Alors comme ça, tu nous quittes? sourit cette dernière.

- Oui, Alanya, soupira Anathea.

- La gloire, toujours la gloire, tu comprends? indiqua Samaël avec un clin d'oeil.

Alanya sourit de plus belle:

- Alors tu as interêt à gagner ce concours, Anathea, c'est tout ce que j'ai à te dire! Allez, allons à l'embarcadère, si tu ne veux pas rater ton bateau.

- J'avoue que ça serait très bête... convint Anathea.

Seuls les bateaux des Voleurs abordaient sur cette île, et ils étaient assez rares.

Les trois amis sortirent de la forteresse, ce qui leur fit quitter l'espace touché par le brouillage magique. Maintenant, ils voyaient exactement ce que pouvait voir un voyageur abordant par hasard sur l'île: un paysage aride, pardemé de rochers, un cadre de vie très dur qui expliquait l'absence d'humains dans cet endroit.

Anathea repensa alors à Alban et se mordit la lèvre face à une telle inconscience: les Assassins étaient des adversaires d'un niveau redoutable, tels qu'il n'en avait jamais affronté...

- Qu'est-ce qui ne va pas, Anathea? demanda Samaël en s'apercevant qu'elle était plongée dans ses pensées.

- C'est Alban, soupira celle-ci. Il dit avoir trouvé des Assassins sur l'île et il veut les affronter pour prouver sa valeur, avec d'autres jeunes Voleurs. Je ne pense pas qu'il faille en parler à nos supérieurs, mais je m'inquiète un peu qu'ils partent aussi peu nombreux...

- Bon sang, ne t'inquiète pas! S'écria Alanya. Demain, Samaël et moi les accompagnerons...

L'interessé opina.

- Tu nous fais confiance? demanda l'amie d'Anathea.

- Autant qu'à moi-même, reconnut cette dernière.

Entre temps, ils étaient parvenus à la côte, où une petite frégate les attendait. Anathea embrassa Samaël:

- Merci encore, leur dit-elle, à lui et à Alanya.

- File! répondit son amie.

- Va gagner ce tournoi! ordonna Samaël. Ensuite, tu réfléchiras à ma proposition!

Anathea opina en rougissant puis monta à bord et sourit au capitaine avec qui elle échangeait souvent des nouvelles du continent. Elle fit un dernier signe à ses amis, puis se concentra sur l'horizon, où son destin l'attendait.


Dans l'ombre de la luneWhere stories live. Discover now