Du prozac !

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Il lui fallu vingt heures pour arriver au Sri Lanka entre le train, l'attente à l'aéroport Charles de Gaulle et les retards. Il était éreinté et n'avait qu'une hâte c'est que ce fichu avion se pose. Lui qui n'avait jamais aimé l'avion n'était pas vraiment dans de meilleures dispositions depuis quelques jours.

— Monsieur ? Je vous sers quelque chose ?

— Du prozac ?

— Heu ... Je n'ai pas...

—  Du valium peut-être ?

— ... Un verre d'eau à la place ?

— Laissez tomber !

Il détourna le regard et la pauvre hôtesse de l'air continua son chemin après avoir poussé un soupir discret.

La tentation avait été forte d'ouvrir une nouvelle lettre mais il s'était retenu, c'était comme un objet sacré et la lire ici aurait eu un côté irrespectueux. Alors, il avait attendu, regardant les familles autour de lui qui tentaient de canaliser leurs insupportables enfants et les petits cons en partance pour des vacances arrosées qui tentaient de profiter des boisons gratuites. Il les trouvait, eux aussi, irrespectueux.

Comment pouvaient-ils tous rire et gambader gaiement quand lui avait le souffle coupé par le chagrin.

Plus loin, la jeune hôtesse se faisait à nouveau malmener par un autre passager et il eu vaguement honte, avant il avait été enjoué, serviable et rieur et depuis quelques jours, il ne se reconnaissait pas. Sarah n'aurait pas aimé ce Will là.

— Vous allez à Colombo ou c'est un transit pour vous ?

Sa voisine le dévisageait avec intensité. Il aurait pu l'ignorer comme quand elle lui avait demandé de lui passer une revue ou quand elle lui avait dit comment elle s'appelait - c'était comment déjà ? Claudette ? Georgette ? - ou quand elle lui avait proposé de manger son plateau repas mais il décida de couper court à toute discussion.

— Mon amie était dans l'avion qui s'est écrasé !

Voilà, c'était dit ! Elle allait la fermer et le laisser tranquille maintenant.

— Toutes mes condoléances.

Et au lieu de le laisser en paix, elle posa sa main fripée et douce sur la sienne. Elle devait avoir dans les soixante-dix ans et il trouva cela un peu étrange qu'elle voyage seule. Il allait se soustraire de son étreinte mais il y eu une turbulence et la terreur le gagna tellement qu'au lieu de fuir, il resserra sa poigne.

Il passa la demi-heure suivante à l'écouter lui parler, il sentit au tréfonds de son être qu'elle essayait seulement de le distraire et l'en remercia intérieurement, incapable de livrer un sentiment.

Quand il fut venu le moment de se lever, il prit l'initiative de descendre la valise de sa voisine et l'aida à descendre les marches de la rampe. Il faisait une chaleur étouffante dehors, il s'imagina être obligé de réanimer la vieille dame si elle se déshydratait à toute vitesse, après tout, à son âge on devait être bien fragile pour qu'il soit chaque année obligé de faire gratuitement cette fichue journée de solidarité. "La journée des vieux" l'appelaient ils en brigade.

— Je crois que nos chemins se séparent ici William.

— Je le pense aussi Juliette. Merci.

Elle prit sa valise et la fit rouler sur l'asphalte, il s'écria.

— Juliette ? Et vous ? Vous allez en vacances ou vous êtes en transit ?

Avec une tendresse immense, elle le regarda et sourit, creusant de profondes rides au coin de ses yeux.

— Je viens pour ramener mon fils à la maison. 

Elle se perdit dans la foule, le laissant seul.

Au terminal, Laure l'attendait, les bras croisés contre son corps, elle avait l'air si seule, si pitoyable. Quand il s'approcha, elle le serra dans ses bras avec une telle force qu'il cru étouffer.

— Viens mon chéri, je vais te conduire à ta chambre, tu dois être fatigué. 

— Tu as eu des nouvelles ?

— Ils ont repéré l'épave et comme elle est en eaux peu profondes ils sont en train de repêcher les corps.

Il leva un sourcils interrogateur, il y avait des corps à remonter ? Il avait toujours cru qu'après un crach on ne retrouvait rien. Elle devina sa question et la devança.

  — apparemment une partie de l'avion est intacte. Tu sais Will, je peux le faire seule, tu n'as pas à venir avec moi pour l'identification.

— On ne va identifier personne, ne t'inquiète pas Laure.

Il la devança et elle frissonna en le regardant marcher la tête haute. Elle était inquiète mais pas pour Sarah, elle savait au fond d'elle même que tout était fini. Non elle était inquiète pour Will.

*

— Bonne vacances, lui souhaita l'employée de l'hôtel et il l'envoya bouler.

Posé sur son lit, il observa le paquet de lettre qu'il venait de sortir et se saisit de la suivante.

 

Mercredi 12 juin 2002

Chère sœurette.

Je regrette de ne pas te voir plus souvent, cela t'éviterait de recevoir ce genre de lettre déprimante.

J'ai vingt-deux ans et je suis toujours amoureuse de William, pas de changement, seulement, je n'en peux plus de l'entendre me dire qu'il voit Julie ou Zoé et qu'il en est amoureux, tu comprends, ça me fait si mal.

Qu'elle idiote j'ai été de penser qu'un jour il m'aimerait, je ne serais jamais le genre de fille qui l'attirera, regarde-moi, je suis banale.

Et lui, il est tellement beau, tellement drôle, tellement ... parfait, non ce n'est pas vrai, il est bourré de défaut, par exemple, il ronfle quand il dort, c'est affreux non ? Surtout en camping (l'horreur !) Ensuite, il râle souvent, il manque un peu de tact aussi. J'ai fais la liste de ses défauts hier pour me persuader qu'il était détestable et que je n'avais aucune raison l'aimer puis je l'ai garder pour la placarder sur mon mur. Par contre la liste de ses qualités, je l'ai brûlée, j'ai d'abord marché dessus à plusieurs reprises puis je l'ai brûlé.

J'aurais dû cracher dessus, je vais peut-être recommencer la liste et le faire...

Bon, aux grands maux, les grands remèdes, je vais aller acheter plein de chocolat et m'empiffrer avec, Will sera furieux, il dira que je dilapide notre budget de l'été de façon inconsidérée.

D'ailleurs parlons-en, il est un peu radin, je n'en peux plus de marcher toute la journée pour admirer ses fichus paysages et d'arriver le soir, monter la tente et me coucher le ventre vide parce qu'il rationne les provisions.

J'ai l'impression d'avoir les mollets de Rambo à marcher sous le joug de monsieur, on dirait qu'il court et que moi je me traîne péniblement derrière, il s'arrête pour m'attendre et je me dis « Chouette une pause » mais dès que j'arrive, il repart et je me met à souhaiter sa mort, au moins j'aurais une pause.

Sur ces paroles bienveillantes, je te quitte, mes courbatures réclament que je me repose.

Rambo

Celui qui reste (terminé)Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt