Le crépuscule du Saumon

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Chapitre1 : c'était la première fois qu'il tuait l'un de sessemblables.


L'adolescent fixait unpoint qui semblait se déplacer à l'horizon. Tarok était allongésur le ventre dans un buisson d'épilobe (1) dont les larges feuilless'étaient épanouies au sommet d'une petite colline. A ses pieds, àperte de vue, l'immense toundra s'étalait. Coupé en deux par lalarge rivière qui nourrissait sa famille depuis des siècles, ledésert de verdure abritait quelques bosquets de bouleaux. Près dela rivière, des bouquets de joncs et de saules vanniers (6)soulignaient chacun de ses méandres.

La douceur du soleil, lecalme qui régnait et l'odeur entêtante des fleurs, tout invitait àun moment de détente.

Mais Tarok, au contraire,semblait tendu à l'extrême, concentré, comme à l'affût d'ungibier extraordinaire. L'adolescent venait de connaître sonquinzième printemps ; dans le clan du saumon, il étaitmaintenant un homme. Il avait vaincu son premier aurochs (2) l'étéprécédent. Une longue cicatrice qui sinuait sur son flanc gauche etune estafilade qui lui barrait le front en témoignaient.

Il sentait la présencerassurante de son couteau de silex contre sa hanche et sa main serefermait régulièrement sur la hampe (3) de sa sagaie. Il n'étaitvêtu que d'un pagne en peau de renne tannée et son corps avait déjàpris la couleur du soleil. Un bracelet de cuir noué au poignet droitet une plume de tétras dans ses cheveux longs et noirs étaient sesseuls ornements. Son corps nerveux et sec était entièrementdissimulé par la végétation.

Il avait quitté lecampement d'été plus tôt le matin pour chasser les tétras, cesvolatiles à mi-chemin entre l'oiseau et la poule qui pullulaient encette saison, avec, dans sa sacoche de peau quelques baies decanneberge (4) et un morceau de saumon séché. Avant l'apparition dusoleil, il s'était posté dans le massif d'épilobe pour lessurprendre à leur réveil. Lorsque le jour s'était levé, il avaitscruté attentivement la toundra. Prés de la rivière, dans unbosquet de saules vanniers, un groupe de tétras commençait às'agiter. C'est au moment où il allait amorcer son approche qu'unvague mouvement à l'horizon avait mis tous ses sens en alerte.

C'était presqueimperceptible mais il y avait bien quelque chose ou quelqu'un quibougeait au loin. Ses yeux et son instinct de chasseur ne letrompaient pas.

Tarok savait que latoundra abritait une profusion de gibier. A la belle saison, elleétait généreuse avec son clan depuis de nombreuses lunes. Beaucoupmoins l'hiver, mais les provisions amassées depuis le printemps leuravaient toujours permis de survivre jusqu'au retour de la saison desfleurs. En revanche, il savait aussi que la toundra pouvait êtreimplacable. De n'importe quel bosquet pouvait surgir un dangermortel.

Les troupeaux d'antilopessaïga traînaient derrière elles des meutes de loups affamés parun trop long hiver. Comme ceux de son peuple, les ours étaientinévitablement aimantés par la présence des saumons. Ils separtageaient souvent les mêmes gués. Il se souvenait aussi du jeuneBrok, parti cueillir des baies, surpris et piétiné par un vieilaurochs solitaire.

La toundra donnait maiselle prenait aussi.

Tarok était suffisammentexpérimenté pour savoir qu'avant de se lancer dans sa partie dechasse il devait s'assurer que ce qui se mouvait à l'horizon neprésentait aucun danger. Être blessé signifiait souvent la mort,être estropié vous rendez inutile pour la survie du camp. Pire, uneblessure faisait de vous un poids mort. Les consignes du vieux sageArnok étaient claires : les chasseurs, pêcheurs, cueilleursdevaient prendre toutes les précautions lors de chacune de leursexpéditions. La survie du groupe en dépendait.

Tarok patientait donc,sans mouvement qui puisse signaler sa présence, le regard fixé surla tâche sombre qui se rapprochait de minutes en minutes.

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⏰ Last updated: Jun 03, 2017 ⏰

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