VII.

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Ses pas résonnent sur le carrelage du couloir de l'hôpital. Il a peur, il a mal, ses mains tremblent, tout son corps se secoue lorsqu'il arrive devant la porte de la chambre de son père. Mais à l'instant où sa main se pose sur la poignée en fer, le battant s'ouvre et une femme en sort précipitamment, tête basse et yeux sur le sol. Il n'a que le temps de sentir son odeur de terre retournée, de racines, de sève et de forêt que déjà son ombre disparait au bout du couloir.

Il ne s'est écoulé qu'une seconde. Celle d'après, il est debout devant le corps de son père. L'infirmière qui s'occupait de l'alité est là, triste et larmoyante. Elle dit nous avons tout fait, je suis désolée. Puis, il y a un silence où elle le regarde, longtemps, et elle murmure il est décédé, il est mort.
Et elle a prononcé, lentement, distinctement, deux mots irréversibles, deux mots qui finissent, deux mots après lesquels on ne peut rien ajouter parce que c'est fini, parce qu'il est décédé, parce qu'il est mort.

JungKook a envie de crier, de jeter le cadavre, de le brûler puis de tout brûler, pour qu'il ne reste plus rien, pour que sa peine brûle avec, pour qu'il ne souffre plus, pour que le trou béant de sa poitrine se referme, parce qu'il ne peut pas souffrir autant, parce que mort et décédé ne peuvent pas être les seuls mots qui resteront de son père, parce qu'il l'aimait. Il se laisse tomber à genoux, il a du mal à comprendre, à saisir, l'infirmière part, elle dit je reviens tout à l'heure, mais il ne peut pas parler, ses lèvres sont ouvertes dans un hurlement silencieux.

Tu te souviens papa, de l'été où j'ai cueilli des cerises en montant sur ton dos parce que les arbres étaient trop hauts ? Il faisait beau cet été là, mais les orages m'effrayaient tant que je venais dans ta chambre à chaque fois. Dis papa, pourquoi est-ce que tu me laisses tout seul ? J'ai toujours peur des orages, tu sais papa. Pourquoi tu me laisses comme ça ?

Et il murmure, seul et pour lui-même, pourquoi, pourquoi, pourquoi, mais il n'y a pas de réponse, pas d'explication, pas de solution. Alors les larmes mordent ses joues, elles tâchent son pantalon, elles ne s'arrêtent plus, elles continuent parce qu'il a mal et que son père ne posera pas sa main sur ses cheveux, ne dira pas ça va aller, parce que ça n'ira pas ; et il pleure seul dans le silence.




Le soleil s'est couché depuis quelques heures sur la terre plate et sur les champs. Il est assis dans sa cuisine, seul, vide, triste, la tête pleine de souvenirs qui le mordent comme des épines, et chaque larme qui coule est une goutte de sang. Il pense aux étés de son enfance, quand le monde lui paraissait si grand que ça l'étourdissait, à l'odeur du journal froissé, à sa paume calleuse, à ces instants banals mais si précieux, il y a le café chaud qui goutte dans la tasse en céramique, il y a ses sourires de travers avec ses dents qui n'avaient jamais connu d'appareil, ses cheveux gris sur ses tempes, ses colères aussi, violentes et cruelles, ses mots lâchés dans la rage qui lui donnaient envie de partir sans rien dire, de partir loin, de le laisser seul dans son aigreur, mais sa tendresse aussi, quand il le regardait avec ses yeux remplis de fierté et d'un peu d'orgueil, quand il disait c'est mon fils avec ce sourire satisfait  et qu'il posait sa main à l'arrière de sa nuque d'une façon brutalement douce.

Et il est là, à penser que ce temps est révolu depuis plusieurs années, et que pourtant jamais encore il n'avait envisagé la mort de son père.

Il lui avait parlé un jour, tous les deux assis devant le soleil qui disparaissait derrière les champs, du fait qu'il n'aimait pas les filles. Son père l'avait regardé sans rien dire, lui avait demandé s'il préférait les garçons. JungKook a répondu qu'il ne savait pas. Son père a dit d'accord, mon fils. Trois mots et c'était fini. Il avait souri, et devant lui le soleil avait étreint l'horizon.

Mais il demeure au fond de son cœur le regret amer de ne pas lui avoir demandé plus de choses à propos de sa mère. Son père lui avait dit qu'ils s'étaient rencontrés ailleurs, dans une ville lointaine sans nom ni habitants, qu'ils s'étaient aimés, qu'ils l'avaient eu et qu'elle était partie. Elle ne supportait plus la solitude, avait-il ajouté. Mais un jour, en cherchant dans la commode de la chambre de son père, il avait trouvé la photo d'une jeune femme aux cheveux frisés et avec un sourire sur les lèvres, qui regardait l'objectif en caressant son ventre rond.

Il n'y avait pas de date ni de nom. Il avait montré la photo à son père en lui reprochant de ne lui avoir jamais montré, mais son père la lui avait arraché, avait quitté la pièce et refusa de parler de cette photo. Ce fut pendant longtemps un sujet de discorde violent et agressif.

Aujourd'hui, il pense qu'il aurait aimé connaitre cette femme.

Il est minuit lorsqu'il monte d'un pas lourd l'escalier qui mène à l'étage. Il traverse le couloir, retire son tee-shirt, son pantalon, reste en caleçon, s'assoit au bord de son lit, et fixe à travers la fenêtre ouverte les montagnes noires qui s'élèvent au loin.

Mais lentement, parce que rien n'est plus vil qu'une pensée, s'insinue dans sa tête que la mort de son père n'est peut-être pas accidentelle, et que quelqu'un y a trouvé un intérêt.

Il s'endormira avec les traces des larmes sèches sur ses joues, dans le silence d'une nuit sans fin.

La Nuit des Loups | TaekookTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang