« Être vide »

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 Elle ne pouvait pas s'empêcher de regarder ses pieds, ce soir-là. Ses pensées étaient déconnectées de sa vue. Elle n'avait aucune idée des petites informations envoyées à son cerveau, pendant qu'elle fixait sa marche. Un lacet blanc, fait de tissu. Un lacet blanc amoureux de son double, qui tous deux se rejoignaient et s'entremêlaient pour former un couple de boucles asymétriques. Ils avaient traversé une dizaine de perforations métalliques pour en arriver là. Durant toutes ces étapes, ils s'étaient croisés sans jamais s'assembler réellement. Dans le creux de son esprit,inconsciemment, elle souhaitait que sa relation avec lui soit la même que ce lacet. Vouloir ne former qu'un avec l'homme que l'on chérit semble anodin, pourtant. Sans y réfléchir longuement, c'est ce qu'elle désirait. Néanmoins ce caprice ne paraissait pas être la source de son attitude perdue, de sa marche lente et de ses yeux presque alexithymiques (1). Elle se sentait juste triste. Chaque pas qu'elle entreprenait ne signifiait rien. Elle ne se hâtait point : elle ne bénéficiait d'aucun endroit où aller.

Elle était vide.

Pourquoi? Pour rien.

Il y a sur Terre des sentiments que l'on ne justifie pas. Quelques fois,quand nous pourrions penser à un milliard de choses, de regrets qui nous tourmentent, nous n'y réfléchissons pas. C'est une chance de pouvoir s'abstenir de réfléchir, de temps à autre. Pourtant, ils'agit là d'une faculté que nous ne sommes pas capables de dompter. On ne se vide pas. On ne se remplit pas non plus. Les émotions, les souvenirs, les fureurs, les rictus, tout ça n'existe pas, sans les autres.

 Elle, elle connaissait ces autres. Malgré cela, elle avait décidé de quitter sa dépendance à la compagnie. Elle, elle louait la solitude. Enfin, il s'agissait là de son ambition la plus forte.Celle-ci se trouvait bafouée par l'existence de lui. Il était, pour elle, pourvu de tous les yeux du monde. À la fois cyans,  bruns et olives. Il ne représentait pas à ses yeux un idéal, il présentait tant de similitudes avec les autres... mais, son âme irréfléchie à elle avait choisi de l'élire comme apte à endolorir son cœur. Ce soir-là pourtant, son être détournait toute pensée dans laquelle il avait le prestige d'apparaître. Arpentant silencieusement les rues, comme si elles se trouvaient infinies, elle ne méditait pas. Cet instant de sa vie se récapitulait à des déplacements sans but. Il se résumait à une tête orientée vers de pauvres chaussures noires, attachées aux pieds par une paire de lacet blanc. Quand elle reviendra à elle,elle rêvera encore sûrement à ce que lui lui déclare que c'est « elle ou personne », elle songera à sa vie si elle était un lacet blanc, si ils avaient, ensemble, parcouru une dizaine de perforations métalliques, si elle ne formait qu'un avec lui, et puis elle regrettera assurément ce soir-là où elle ne pensait pas à lui. Où elle était vide.

Lexique :

  alexithymiques (1)  :  Qui a une difficulté à exprimer des émotions.

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Si ce genre d'OS vous plaît, n'hésitez pas à me le dire, j'en ferais de nouveaux à l'occasion. 

« Vide, un instant. » [OS]Where stories live. Discover now